Conséquence directe de la suppression des quotas, tout planteur livrant à un groupe privé et libéré de ses contrats antérieurs, ou ne disposant pas de capital social dans le cas d’une coopérative, peut être libre de changer d’acheteur. Par ailleurs, tout agriculteur non planteur peut le devenir. En face, tout groupe privé est libre d’accueillir de nouveaux planteurs, et tout groupe coopératif de nouveaux adhérents. « La compétition était prédéfinie par le volume de quotas réparti par fabricant. En 2017, les règles du jeu changent et chaque fabricant devra être le plus compétitif possible, pour conserver et surtout gagner des parts de marché », explique Alain Commissaire, directeur de Cristal Union. La course est donc lancée depuis janvier 2016 chez les groupes sucriers qui ont dévoilé au fur et à mesure leur politique de prix, ainsi que certains éléments de leurs contrats prévus à partir de la campagne 2017.
Allongement des durées de campagne
Chez tous les industriels, l’objectif est le même : augmenter la production pour limiter les coûts fixes. « L’industrie sucrière est une industrie lourde et saisonnière, explique Alexis Duval, directeur de Tereos. En France, les usines ne tournent en moyenne que 104 à 110 jours par an, contre 124 en Allemagne, par exemple. Si nous voulons être compétitifs à la fin des quotas, il nous faut nous aligner avec nos concurrents et saturer notre outil industriel. » Et cette différence coûte cher. Chez Tereos, atteindre les 130 jours de campagne permettrait un gain de 3 €/t de betteraves !
En plus de l’augmentation des volumes de betteraves transformées, l’allongement des durées de campagne est primordial pour les grands groupes français. L’objectif de Tereos, qui était de produire 18 millions de tonnes de betteraves en 2017 (15 Mt aujourd’hui), a été dépassé, puisque la contractualisation atteindrait déjà les 19 Mt. Le groupe ambitionne une durée de campagne de 130 jours. « Nous proposons une majoration de 3 €/t pour les betteraves enlevées au 20 janvier, poursuit Alexis Duval . Nous investissons aussi dans des aires de stockage sur nos usines et nous assurons le bâchage et les coûts supplémentaires. » Cristal Union entend aussi augmenter sa production, à 17 Mt (+ 20 % en deux ans), et allonger la durée de la campagne à 120 jours pour les récoltes 2017-2018-2019. « Chez Saint-Louis Sucre, aujourd’hui à 110 jours, nous ambitionnons d’atteindre une durée de campagne de 120 jours », précise Thierry Desesquelles, directeur de Saint-Louis Sucre.
Économies sur tous les postes
Les industriels travaillent également sur des programmes d’économie d’énergie au sein de leurs usines. « Par rapport à l’Allemagne, nos coûts énergétiques sont bien plus importants car ils utilisent encore beaucoup de charbon », explique Alexis Duval (Tereos). « Chez Cristal, nous nous sommes lancés dès 2007 dans des programmes d’économie d’énergie et nous ambitionnons de faire baisser de 20 % notre consommation d’énergie d’ici 5 ans dans nos usines », précise Alain Commissaire.
Ajoutons que les rayons d’approvisionnement plus faibles, permis par une bonne densité de surfaces betteravières et d’usines, permettent à la filière française de présenter des coûts de transports moindres que ceux de nos voisins européens. Tereos a notamment exprimé son souhait de maintenir tous ses bassins de production. « Nous ne voulons pas fermer d’usines, pour cela nous allons les faire tourner à plein régime », affirme Alexis Duval. Un souhait partagé par Alain Commissaire pour Cristal Union.
Les gains de compétitivité de la filière vont aussi se faire à travers l’amont agricole, notamment avec la hausse des rendements de la betterave. La France présente déjà les plus hauts rendements au monde, à 90 t/ha en moyenne pour des betteraves à 16°, et le programme Aker vise à augmenter de 4 % par an le rendement de la betterave française entre 2017 et 2020.
La plus grosse part du revirement stratégique chez les fabricants de sucre en vue de l’après-quotas concerne le développement du réseau commercial. Puisqu’une augmentation du volume de sucre produit signifie davantage de sucre à commercialiser, les fabricants développent leur réseau de distribution intra et extracommunautaire (lire encadré ci-dessus).
« Les grands groupes français sont bien positionnés. Ce sont des entreprises solides qui proposent des stratégies à long terme en investissant dans des actions collectives », d’après Marc Zribi, délégué de la filière sucre à FranceAgriMer.
Prix minimum chez Tereos et Cristal Union
Outre les aspects de compétitivité à toujours améliorer, des interrogations demeurent concernant la rémunération des planteurs, qui seront désormais soumis à une plus grande volatilité des prix et n’auront plus le filet de sécurité fourni par le prix minimum permis par les quotas européens. « La Confédération générale des planteurs de betteraves (CGB) a chiffré le coût moyen de production à 25 €/t (dans le cadre d’un rendement de 89 t/ha) », rappelle Alain Jeanroy, directeur général de la CGB. Dès le mois de février 2016, les groupes sucriers ont dévoilé leurs différentes politiques de prix. Ainsi la coopérative Tereos a proposé un prix minimum de 25 €/t de betteraves (valorisation des pulpes incluses) pour les campagnes 2017 et 2018. « Nous avons fait le choix d’un prix minimum pour accroître la visibilité de nos planteurs », explique son directeur.
L’autre groupe coopératif, Cristal Union, s’est positionné et a fixé le prix des betteraves à une valeur pivot de 27 €/t, avec un prix minimum de 25 €/t (pulpes comprises). « Ce prix pivot pour trois ans apporte à nos planteurs une sécurité minimale et leur donne une idée du prix qui leur sera effectivement payé », précise Bruno Labilloy, directeur agricole de la coopérative.
« Nous sommes satisfaits par certaines annonces ou contrats affichant soit des prix minimums, soit des indexations du prix de la betterave sur celui du sucre, cela rassure les planteurs, remarque Alain Jeanroy (CGB), mais nous restons tout de même interrogatifs pour l’avenir quant à ces éléments de prix. Lorsque le marché sera moins favorable, nous n’avons pas de certitude que certaines de ces conditions de prix seront toutes maintenues, en particulier le prix minimum. »
Prix indexé au prix du sucre chez Saint-Louis
Quant au groupe privé Saint-Louis Sucre (SLS), il a établi une grille du prix de la betterave en fonction de celui du sucre (prix moyen des ventes pour les différents débouchés des usines du groupe Südzucker, auquel appartient SLS). « Nous avons également décidé de supprimer le forfait collet de 7 %, qui vient actuellement en déduction du tonnage livré. Ceci correspond, pour les agriculteurs, à une hausse du prix des betteraves de 1,70 €/t », précise Thierry Desesquelles, directeur betteravier du groupe. Afin d’inciter les planteurs à augmenter leurs volumes produits, les frais de transport seront bien facturés aux agriculteurs de façon mutualisée pour les betteraves issues des surfaces supplémentaires, mais le groupe a prévu une prime de 4 €/t pour la prise en charge de ces frais, sachant qu’il estime le coût moyen du transport à terme aux alentours de 3,50 €/t.
Complément de prix
La politique de versement d’éventuels compléments de prix ne changera pas et sera liée aux performances des entreprises pour les groupes coopératifs Tereos et Cristal Union. « Ce système de complément de prix est d’ailleurs d’autant plus incitatif à améliorer la structure de coût », remarque Alexis Duval dans le cas de Tereos. Saint-Louis Sucre a « également prévu d’accorder des compléments de prix qui seront évalués chaque année au cours de discussions avec les planteurs, en fonction du contexte de l’année », précise Thierry Desesquelles.
Reste alors la question de l’intérêt économique pour l’agriculteur d’augmenter sa surface de betterave. « Les planteurs doivent se poser plusieurs questions. D’abord agronomiques, puis d’organisation du travail. Si, dans une Cuma, chaque planteur augmente sa production de 5 ha, le matériel risque de ne plus être approprié, mais une machine aux capacités supérieures peut écraser les coûts de récolte », explique Nicolas Girault, conseiller au CER Sud Champagne. La betterave engendre des charges de l’ordre de 1 000 €/ha. Selon le CER, si la recette engendrée par la culture est inférieure à 1900 €/ha, la culture ne présente pas d’intérêt particulier. Un chiffre qui diffère en fonction du prix des cultures concurrentes, comme le blé ou le colza. « Néanmoins, cette année dans nos régions, la betterave et la pomme de terre sauvent les résultats des agriculteurs, du fait du contexte de prix sur les autres cultures », conclut le conseiller.