La bataille féroce que se livrent les deux frères ennemis du mutualisme agricole, le Crédit agricole et Groupama, vient de connaître un rebondissement spectaculaire (lire également l'éditorial intitulé "L'assurance récolte en otage" .

Pour 2005, Groupama offre à ses clients, assurés pour la grêle en grandes cultures, d'étendre gratuitement leurs garanties à douze autres aléas climatiques (1). Pour le moment, ce choix n'est pas proposé aux clients du Gan. Ce geste commercial devrait lui coûter au bas mot 18 millions d'euros au seul titre des cotisations non prélevées et 70.000 producteurs vont pouvoir bénéficier de cette extension sur option.

Officiellement, il s'agit d'accompagner l'initiative des pouvoirs publics dans le développement expérimental de l'assurance récolte. Dans la pratique, il s'agit d'un coup commercial qui vise à couper l'herbe sous le pied de son concurrent, Pacifica (filiale du Crédit agricole), alors que ce dernier rêve depuis plusieurs années, en vain jusque-là, de lui prendre des parts dans le secteur de l'assurance agricole.

25% de franchise

Les cultures concernées par cette extension sont les céréales, les oléoprotéagineux, les betteraves sucrières, les pommes de terre, des cultures industrielles (lin textile, chanvre, maïs doux...), les plantes aromatiques et médicinales, les semences, etc.

Le cadeau est toutefois à relativiser car la franchise est plutôt élevée, avec 25% du capital assuré pour chaque espèce, soit le niveau de franchise qu'ont choisi les pouvoirs publics pour subventionner l'assurance récolte. Il est possible de racheter des franchises plus basses «au cas par cas, selon les besoins» indique Groupama. Pour la grêle, le niveau de franchise habituel est conservé et la couverture reste établie à la parcelle et non pas sur la totalité des surfaces de l'espèce concernée (comme avec les autres aléas).

La notice d'information que Groupama vient d'envoyer aux sociétaires concernés stipule un certain nombre d'exclusions de garanties qu'il convient d'examiner avec la plus grande attention pour savoir à quoi s'en tenir. Sont par exemple exclues du contrat «les conséquences de décisions administratives (interdiction d'irrigation par exemple)» ou «la non-utilisation des équipements d'irrigation et des ressources en eau disponibles». Vu le contexte actuel de sécheresse et la situation tendue qui s'annonce pour cet été, les irrigants ne pourront pas compter sur cette garantie pour couvrir de probables restrictions administratives de pompage. Tout exploitant qui souscrit à une assurance récolte ne peut plus prétendre à être indemnisé par le Fonds national de garantie des calamités agricoles. Celà dit, ce fonds indemnisait très mal les grandes cultures...

(1) En plus de la grêle: sécheresse, gel, tempête, excès d'eau, excès de température, coup de soleil, excès d'hygrométrie (germination sur pied des céréales), inondation, pluie violente, poids de la neige, tourbillon de chaleur, vent de sable. S'ajoutent à cette liste des garanties supplémentaires comme les frais de ressemis, les frais supplémentaires de culture, la réduction de faculté germinative des semences, la perte de qualité pour certaines cultures.

 

Le décret concernant les multirisques climatiques est sorti

Pour déclencher son offensive, Groupama a attendu la sortie au Journal officiel du 19 mars d'un décret fixant pour 2005 les modalités d'encadrement de l'assurance récolte. Ce texte est sans surprise par rapport à ce que le ministère avait annoncé: la subvention est de 35% de la prime d'assurance et de 40% pour les jeunes agriculteurs installés depuis moins de cinq ans. Les collectivités locales peuvent aussi apporter leur soutien mais le montant total des subventions ne doit pas dépasser 50%. Alors que l'année 2005 était destinée à tester l'appétence de l'assurance récolte, l'initiative de Groupama bouleverse la donne et va occasionner une montée en charge artificielle du dispositif. Cela risque de précipiter l'effacement programmé du Fonds natio- nal des calamités et va mettre les pouvoirs publics dans l'embarras pour la répartition des subventions: à lui seul, Groupama est en mesure de consommer la quasi-totalité des 10 millions d'euros que l'Etat a budgétés pour lancer l'assurance récolte!