Vous écrivez que le débat concernant la transition agroécologique est polarisé. Pourquoi ?
« On est encore souvent dans un schéma qui oppose un conservatisme qui nie le problème et un simplisme avec une approche moralisatrice, insupportable pour les agriculteurs. Je propose de m’inspirer de ce qui a fonctionné en termes de transition écologique en dehors de l’agriculture, notamment dans l’énergie où un consensus s’est installé dans l’opinion autour du triptyque sobriété, renouvelables, nucléaire. »
Vous rappelez la nécessité du changement de pratiques, d’adopter de nouvelles technologies comme les NBT (new breeding technics). Pourquoi celles-ci seront nécessaires à la transition agroécologique ?
« Je suis convaincu que c’est absurde d’opposer les solutions plutôt que de les additionner. Nous avons besoin de changer nos pratiques agricoles pour faire plus de rotations et avoir plus de diversité culturale par exemple, et aussi d’utiliser le potentiel technologique à son maximum dès lors que cela s’inscrit dans nos objectifs environnementaux. Les NBT font partie de la solution, de la même manière que le numérique ou les drones. »
« Leur utilisation doit être associée aux objectifs du Green Deal comme la réduction des pesticides, la limitation du recours aux engrais de synthèse ou bien la réduction des besoins en eaux des plantes. Politiquement, il faut changer de philosophie en se concentrant sur les alternatives et non sur la baisse elle-même. C’est la seule façon de réussir. »
Vous suggérez aussi de faire « moins d’élevage, mais mieux ». Pourquoi ?
« Environ 70 % de la SAU européenne est utilisée pour nourrir les animaux. Cela représente une part significative des surfaces disponibles. Si nous souhaitons développer un plan protéines européen, augmenter la part du bio, ou faire des énergies renouvelables, nous aurons besoin de plus d’espace. Aujourd’hui, l’élevage intensif n’a pas de chemin de soutenabilité évident. Ce modèle est à l’aube d’une disruption technologique liée au lait sans vache et à la viande de synthèse. »
« Ces technologies sont en train d’arriver et vont changer la donne. Il vaut mieux investir dedans pour les maîtriser plutôt que de les subir. C’est une des façons de réduire fortement l’empreinte carbone de l’élevage intensif. En parallèle, il faut favoriser fortement l’élevage extensif, car il fait partie de la solution pour stocker du carbone dans les prairies et pour faire de la polyculture-élevage. »
Vous soulignez que l’ensemble des contraintes normatives doit être porté par toute la chaîne de valeurs, et pas seulement par l’agriculteur. Quels outils peuvent rendre cela possible ?
« Je propose qu’à côté de la Pac, on mette en place un marché du carbone pour l’industrie agroalimentaire comme cela existe aujourd’hui pour les industriels. Puisque 70 à 80 % des émissions de CO2 (dioxyde de carbone) de ces industriels viennent de l’amont agricole, s’ils ont des contraintes de réduction, ils devront accompagner les agriculteurs à diminuer leurs émissions. Cela permettra de transformer de la contrainte en valeur dans les fermes. »
« Cela s’inscrit également dans le « carbon farming » qui rémunère les agriculteurs qui stockent du carbone dans les sols. Aujourd’hui, la tonne de CO2 est payée 20 €, ce n’est pas assez. On sait que pour un agriculteur cela commence à être intéressant à partir 50 ou 60 €/t de CO2. Avec un marché du carbone qui génère ce prix-là, on pourra transférer de la valeur dans les fermes. L’idée est loin d’être utopique quand on sait que les industriels, hors agroalimentaires, payent déjà 100 €/t de CO2. »
Dans un marché mondialisé, que proposez-vous pour éviter de désavantager notre agriculture ?
« Je partage l’objectif politique du “n’importons pas l’agriculture dont nous ne voulons pas”. Depuis quatre ans, on se bat en Europe pour gagner progressivement des clauses miroirs. Et cela commence à porter ses fruits. Les premières sont effectives depuis le janvier 2023. Évidemment, ce n’est que le début de l’histoire. »
« La question fondamentale qui se pose est comment contrôle-t-on ? Pour la prochaine mandature, je porte l’idée d’un FrontEx du Green Deal : un corps européen de douane qui contrôle l’entrée sur le marché européen des denrées alimentaires afin de s’assurer que les nouvelles normes que nous imposons soient bien respectées, sans prendre le risque de concurrences par le bas entre les grands ports européens. »
Est-ce que la prochaine Pac pourrait davantage accompagner la transition agroécologique ?
« La Pac actuelle pose les bases de ce que devrait être la future Pac pleinement adaptée à la transition agroécologique. Ce sont les écorégimes du premier pilier qui permettent de contractualiser vers des pratiques jugées pertinentes et cohérentes avec les objectifs collectifs. Mais le Pac doit être complétée par d’autres outils : le carbon farming, le marché du carbone pour les industries agroalimentaires, ou bien les clauses miroirs dans les accords commerciaux. Cette panoplie d’outils pourra assurer une transition juste et efficace pour les agriculteurs. »