La France agricole : La population de sangliers a explosé et semble devenue, dans certaines zones comme le Sud-Est par exemple, hors de contrôle. Comment en est-on arrivé là ?
Willy Schraen : La population de sangliers a effectivement augmenté et gagne de nouveaux territoires. Ce phénomène a un lien direct avec le bouleversement énorme de l’agriculture et des biotopes. La progression constante de la culture du maïs, comme en Alsace, qui a remplacé l’emblavement majoritaire en blé et orge, a favorisé la prolifération des sangliers. Sans compter qu’avec l’augmentation de la taille des parcelles, les champs de maïs deviennent des forteresses, d’où le gibier est très difficilement délogeable par les chiens.
L’autre explication tient à la « mise sous cloche » des biotopes : des réserves naturelles ou des territoires classés Natura 2000 ont sanctuarisé de vastes zones où l’homme ne peut plus pénétrer. Dans le Var par exemple, la garrigue est devenue impénétrable en raison de la déprise agricole. Le territoire se ferme et il devient difficile de chasser. Sans parler des néoruraux, qui au nom de nuisances auditives et visuelles, ont interdit la chasse autour des villages. Ou de ceux qui, par idéologie, interdisent la chasse sur leurs propriétés.
On peut reprocher aux chasseurs leur passion pour le grand gibier. Ils ont pu favoriser le développement du sanglier.
Résultat : les sangliers s’y cachent et s’y reproduisent tranquillement. Ces « sanctuaires » sont responsables de l’explosion de la population. Dès lors que 10 % ou 20 % d’une commune sont soustraites à la chasse, on ne peut plus rien maîtriser. On peut aussi reprocher aux chasseurs leur passion pour le grand gibier. Ils ont pu favoriser le développement du sanglier il y a plusieurs années, quand la population était beaucoup plus faible qu’aujourd’hui. Mais rappelons qu’ils y ont été poussés par la disparition du petit gibier, liée aux pratiques agricoles intensives. En 40 ans, les chasseurs ont été contraints de se rabattre sur le gros gibier.
Doit-on craindre la même explosion de la population des cerfs ?
Si le cerf se développe, c’est la volonté partagée de l’État et des chasseurs. Les cerfs sont régulés à travers un plan de chasse national, qui fixe le nombre d’animaux à tuer chaque année. Les chasseurs réalisent toujours le quota minimum de prélèvements. Il n’y a pas de dérapage.
Les dégâts du gros gibier sont difficilement acceptables pour les agriculteurs. Que proposez-vous ?
C’est un problème majeur pour les agriculteurs comme pour les chasseurs, qui, jusqu’à présent, payent seuls l’intégralité des dégâts. Avec près de 50 millions d’euros, c’est un effort énorme et une vingtaine de fédérations sont exsangues financièrement. Nous ne voulons et ne pouvons plus continuer comme ça.
Si nous payons 100 % des dégâts, nous voulons maîtriser 100 % du territoire : c’est-à-dire avoir les moyens d’agir sur les zones fermées en utilisant les modes de chasse que nous jugeons adaptés. Dans ces conditions seulement, nous arriverons à rétablir un équilibre agrocynégétique acceptable pour tous.
Les chasseurs continueront-ils à indemniser les dégâts ?
Nous acceptons de porter la responsabilité des dégâts à condition de gérer la chasse, sans intervention publique. C’est celui qui paye qui commande. Si une commune ou un particulier veut interdire un territoire à la chasse, ou si une société entretient un cheptel pour pérenniser sa chasse, pas de problème. Mais dans ce cas, ils devront payer pour les dégâts qu’ils laisseront se perpétrer.
Nous acceptons de porter la responsabilité des dégâts à condition de gérer la chasse, sans intervention publique.
Même chose si un agriculteur ne fait aucune prévention sur ses cultures, ou qu’il ne collabore pas avec les chasseurs, il ne pourra pas prétendre à une indemnisation de 100 % de ses éventuels dégâts. Il faudra partager les frais. C’est le seul moyen de mettre fin à toute dérive. Cela impliquera certainement une responsabilisation des acteurs locaux, tels que les maires ou les particuliers qui ne donnent pas accès au territoire. Ils devront participer au paiement local des dégâts.
De façon plus globale, nous demandons une modification du cadre général de la chasse. Je vais rencontrer au début de novembre le président de la République pour lui présenter nos propositions, en particulier cette réforme de l’indemnisation des dégâts. L’État ne peut pas se passer des chasseurs : notre contribution, rien qu’en temps passé bénévole, représente des centaines de millions d’euros par an.
Comprenez-vous les réactions de colère des agriculteurs ?
Je suis issu d’une famille d’agriculteurs dans le Nord-Pas-de-Calais et je comprends donc très bien la détresse de voir ses récoltes détruites, surtout quand le secteur vit de grandes difficultés économiques. Mais je pense qu’il faut revenir à une tolérance normale de ce que peut et doit accepter le monde agricole. Le zéro dégât n’existe pas puisque nous sommes dans une nature ouverte. Ce que semble oublier une partie de la jeunesse agricole, plutôt éloignée de la chasse, et moins tolérante que ses aînés sur la gestion de la faune sauvage.
Il faut revenir à une tolérance normale de ce que peut et doit accepter le monde agricole. Le zéro dégât n’existe pas.
Enfin, ce n’est pas parce qu’une minorité agit mal, du côté des chasseurs comme des agriculteurs, qu’il faut donner l’impression que tout le monde se déteste. Heureusement, les gens se parlent et ils constituent l’écrasante majorité. Nous ne sommes pas toujours d’accord mais je considère le monde agricole comme un de nos partenaires essentiels de la chasse et de la ruralité. Nos destins sont liés.
Vous appelez à une nouvelle collaboration avec les agriculteurs ?
Nous avons l’intention de mettre les moyens nécessaires pour mieux réguler le gros gibier. Mais nous demanderons des compensations au milieu agricole : il faudra rétablir le petit gibier qui a disparu sur 90 % du territoire. Cela passe par la restauration de la biodiversité, des continuums écologiques et l’ouverture du parcellaire avec des chemins ruraux. Les actuelles bandes enherbées, si elles sont entretenues comme un golf, sont des cimetières à biodiversité !
Les actuelles bandes enherbées, si elles sont entretenues comme un golf, sont des cimetières à biodiversité !
Les programmes Agrifaune, c’est souvent pour se donner bonne conscience. C’est une vitrine qui ne sert strictement à rien, si on se limite à cela. Il faut des réserves de biodiversité sur 10 % de chaque commune plutôt que des grands blocs sous cloche. Nous avons un coup à jouer en écologie, soyons malins et ne faisons pas de dogmatisme. Sinon certains le feront pour nous depuis leurs salons parisiens.
Les agriculteurs et les chasseurs partagent une passion commune pour la nature. Nous sommes les vrais experts de l’environnement. On ne fait pas l’écologie, on la vit. Nous nous étions entretenus avec Xavier Beulin et étions convenus de ce chemin à prendre. Je compte prochainement rencontrer Christiane Lambert à ce sujet et je suis persuadé que notre entrevue sera fructueuse.
(1) à paraître dans La France Agricole du 13 octobre 2017.