«Depuis mon installation, j’adorais labourer. Je trouvais que c’était esthétique. Je le faisais dans le sens de la pente l’hiver, avant les semis de maïs au printemps suivant.Une belle journée de juin, j’avais décidé de biner mon maïs. Il y avait beaucoup de ray-grass dans la parcelle en coteaux au-dessus de la ferme. En fin d’après-midi, le travail était bien fait, les mauvaises herbes déterrées, j’étais satisfait.
Dans la soirée, le ciel est devenu menaçant, comme cela arrive parfois au printemps dans notre région. Assez vite, la grêle s’est mise à tomber. Mais cette fois, l’orage a été si intense que, rapidement, j’ai vu dévaler la terre de mes champs. Une hauteur de 25 cm a atterri dans la cour de mon exploitation. C’était un spectacle désolant. J’étais sous le choc. Après les trombes d’eau, en regardant les dégâts avec ma fille, la citation de Saint-Exupéry m’est revenue en mémoire : « La terre ne nous appartient pas, nous l’empruntons à nos enfants. »
Je ne pouvais pas poursuivre ainsi. Je me suis souvenu des cours d’écologie et des livres de Soltner (1), qui parlaient d’érosion quand j’étais à l’école. J’ai commencé par changer le sens des cultures et, en dix ans, je suis passé d’une conduite conventionnelle à l’agriculture de conservation des sols. Un nom qui prend tout son sens chez moi.
Une partie de mes terres est très argileuse. On m’a souvent dit que le semis direct dans ce type de sols ne fonctionne pas. En effet, après une période sans pluie, on voit rapidement la terre se fendre, l’argile se contracter, des lézardes apparaître. J’aurais pu être tenté de continuer à travailler le sol pour le structurer, mais je devais changer de système. Je n’avais pas le choix si je voulais améliorer la fertilité.
En vingt ans, de 1997 à 2017, le taux de matière organique de mes terres a doublé, passant de 1,3 % à 2,6 %. Semis direct, couverts végétaux et rotation plus longue grâce à l’introduction de légumineuses y ont contribué. Les vers de terre font le labour. Après une pluie, vous les voyez qui remontent, qui travaillent. Grâce à eux, l’eau s’infiltre dans le sol. Elle reste disponible pour les cultures et ne ruisselle plus. Aujourd’hui, j’adore les regarder à l’œuvre. »
Ingénieur agricole, Dominique Soltner est l’auteur d’ouvrages à destination de l’enseignement agricole.