C’était le 29 juin 2011 entre 8 h 30 et 9 h. Nous avions fini de battre l’orge la veille. Je vidais la trémie de la moissonneuse, que j’avais laissé tourner. Il ne me restait plus qu’à rabattre le capot et arrêter la machine. J’aurais dû faire l’inverse… Il pleuvait un peu. J’ai dérapé sur la tôle glissante et ma jambe droite a été happée par la vis. Je me suis accroché comme j’ai pu, en me disant : « Elle va te bouffer. » À ce moment extrême, on voit défiler sa vie. J’ai tout de suite pensé à mes trois enfants (1), à ma femme. C’est ce qui m’a donné la force de m’extirper. Un voisin m’a entendu crier. Il a tout suite prévenu les secours et a fait un point de compression pour endiguer l’hémorragie… Difficile à croire, mais je n’avais pas mal. Mais, je me souviens d’une soif terrible. À l’hôpital de Nancy, les médecins m’ont donné deux alternatives. Soit ils essayaient de sauver ma jambe, très abîmée, avec des risques d’infection, des difficultés à remarcher. Soit ils l’amputaient. Je leur ai tout de suite dit : « Coupez ! » Ce qui a été fait, au-dessus du genou. Le lendemain : grosse infection. La poussière d’orge s’était immiscée dans la plaie.
Quatre jours plus tard, j’ai fait une réaction post-traumatique. Ma femme, Christelle, et moi étions en larmes, avec de grosses angoisses pour notre avenir, notre famille, l’exploitation. Puis le moral est remonté. J’ai été hospitalisé quarante jours. J’ai perdu 13 kg. Sur l’exploitation, mes parents, mon épouse, des copains agriculteurs ont pris le relais. Un saisonnier a été embauché.
Voir tout autrement
En janvier 2012, j’ai été appareillé, avec un genou électronique et une prothèse en carbone. Le plus douloureux en fait. J’ai repris le travail peu à peu. J’enlève genou et prothèse tous les soirs. Une caméra me permet de surveiller les animaux, notamment les vêlages, pour ne pas avoir à remettre ma prothèse inutilement. Aujourd’hui, à 44 ans, j’ai la chance d’être là. Ma femme et moi voyons les choses différemment. Il faut accepter son handicap et garder de l’humour et du recul. Quand un ami agriculteur m’appelle « le cagneux », ça m’amuse. Je n’ai pas de complexes, je mets un short aux beaux jours. Les enfants disent : papa a une petite jambe !
(1) La plus jeune avait 18 mois au moment de l’accident.