L’histoire

Martin était propriétaire d’un mas et d’un joli moulin attenant. Utilisé pour presser les olives, ce dernier fonctionnait toujours. Il était actionné grâce à l’eau amenée par un bief alimenté par la rivière voisine. Le bief traversait des parcelles appartenant à Paul qui les avait données à bail à l’EARL de la Ronce. Estimant être propriétaire des francs-bords du bief et des digues situées en amont, Martin avait interdit à Paul et à l’EARL de faire obstacle à son passage sur les berges du bief pour l’entretenir.

Le contentieux

Face à l’opposition de Paul, Martin l’avait assigné devant le tribunal judiciaire, en revendication de la propriété de l’entier canal, des francs-bords et des vannages, et en interdiction de tout passage sur ces éléments pour entretenir le bief. Il est admis par la jurisprudence que s’il est constaté qu’un bief d’amenée d’eau est un ouvrage artificiel et différent du lit de la rivière, créé dès l’origine à l’usage exclusif d’un moulin, ce bief est réputé appartenir en entier au propriétaire du moulin. Il s’agit d’appliquer le principe de l’accession posé par l’article 546 du code civil. Or, l’acte d’acquisition portait sur une maison et sur un ancien moulin attenant. Pour Martin, le bief était réputé lui appartenir en entier.

Mais cette présomption ne pouvait-elle pas souffrir d’une preuve contraire ? C’est ce dont Paul avait été convaincu. Il s’était opposé à la demande de Martin et avait revendiqué la propriété des berges par prescription. Pour cela, il faut une prescription continue et non interrompue, paisible, publique, non équivoque et à titre de propriétaire, selon l’article 2261 du code civil.

Pour s’en prévaloir, Paul, qui avait donné à bail les parcelles où se trouvait le bief, avait mis en avant qu’il les avait entretenues, notamment en procédant à des coupes régulières d’arbres, pendant plus de trente années.

Les juges devaient régler ce conflit entre deux modes de preuve de la propriété des parcelles entourant le bief : y avait-il accession ou prescription acquisitive ? Ils avaient tranché en faveur de cette dernière. Paul avait acquis son fonds le 30 octobre 1976 et depuis cette date il avait entretenu les digues en effectuant des coupes régulières d’arbres sans interruption jusqu’à la décision de Martin de remettre le bief en eau en 2010. Paul qui justifiait d’une possession continue avait pu démontrer qu’il avait acquis les parcelles litigieuses par prescription trentenaire, ce qui permettait d’écarter la présomption par accession instaurée par l’article 546 du code civil. Saisie par Martin, la Cour de cassation n’a pu qu’approuver la solution des juges du fond qui avaient fait une exacte application de la prescription acquisitive.

L’épilogue

La prescription acquisitive peut l’emporter sur la présomption de propriété portant sur un bief d’amenée d’eau accessoire d’un moulin. La solution est rigoureuse pour Martin. Il n’aura d’autre solution, pour obtenir le droit de pénétrer sur les francs-bords et les digues du bief, que de revendiquer l’existence d’une servitude de passage.