Les experts la surnomment la « megasequía » (méga-sécheresse). Extraordinaire par son étendue géographique et sa durée, elle affecte toute la zone centrale du Chili depuis 2010. L’année 2019, en particulier, est l’une des plus sèches depuis le début des relevés météorologiques.

Cette sécheresse a déjà tué plus de 100 000 animaux, dont 18 000 bovins, 8 000 ovins et 80 000 caprins. Le ministre de l’Agriculture, Antonio Walker, a décrété l’urgence agricole pour 119 communes réparties dans six régions : Atacama, Coquimbo, Valparaiso, Metropolitana, où le déficit pluviométrique atteint 80 %, O’Higgins et El Maule. Ce décret a permis d’activer une aide d’urgence de près de 2,9 millions d’euros, versée par le ministère de l’Agriculture, à travers l’Indap (1), aux producteurs exploitant moins de 12 hectares de terres (2).

L’activité agricole se déplace vers le sud

Les gouvernements régionaux ont également apporté leur soutien financier, à hauteur de 5,7 millions d’euros. Au total, 20 000 agriculteurs sont concernés. « Le gouvernement voulait créer une aide pour les non-Indap [agriculteurs ne bénéficiant pas de l’aide d’urgence, N.D.L.R], mais on l’attend toujours », déplore Freddy Moreno, éleveur dans la région de Valparaiso. Mais il ne se sent pas oublié pour autant. Sa commune l’a mis en contact avec un psychologue et une assistante sociale, et il peut compter sur le soutien des particuliers. Avec d’autres éleveurs de la vallée de Putaendo, il a lancé la campagne Viajar o Morir (Voyager ou mourir) pour financer la transhumance du bétail vers la Patagonie, où l’herbe est encore verte.

Une destination lointaine et inhabituelle, qui reflète une tendance de fond. « Toute l’agriculture se déplace vers le sud », constate Samuel Ortega, spécialiste des ressources hydriques à l’Université de Talca. Mais pour Freddy Moreno, il est déjà trop tard : son troupeau a été décimé par la sécheresse. « Je dois chercher un autre travail, mais il est compliqué de se reconvertir, car la région est très agricole », dit-il.

Dans un pays où la gestion de l’eau relève du droit privé, et où les conflits autour de son utilisation sont récurrents, les éleveurs ne parviennent plus à subvenir aux besoins du bétail. « Le prix de l’eau ne cesse d’augmenter, explique Samuel Ortega. Avec la sécheresse, la production agricole baissera de manière significative. » Le prix des denrées n’a pas encore été touché, mais le printemps et l’été qui arrivent (3) ne présagent rien de bon. « Ici, la saison des pluies est très marquée. Il pleut d’habitude en hiver, de juin à août », alerte Juan Pablo Boisier, du Centre de recherche sur le climat et la résilience. Le pire est donc peut-être à venir. Samuel Ortega est catégorique : « Le changement climatique est là, il faut nous adapter. »

Laura Hendrikx

(1) Institut national de développement agricole.

(2) En 2007, la surface moyenne exploitée était de 46 ha (source : ministère de l’Agriculture).

(3) Les saisons sont inversées par rapport à l’Europe.