Observations au long cours
Dans les années soixante, les parcours arides du plateau du Larzac ont subi une importante déprise agricole. Elle est intervenue au moment de l’intensification de la production de lait de brebis pour la filière roquefort, qui s’est concentrée sur les terres fertiles.
En 1972, l’Institut national de la recherche agronomique (Inra) a cherché à savoir s’il était possible d’élever, en plein air intégral, une race d’ovins viande sur ces parcours. L’Institut en possède 280 hectares. Mes collègues ont opté pour la race bouchère romane et il a été déterminé qu’un hectare pouvait nourrir une brebis pendant un an.
En 1987, l’Inra a décidé de comparer trois types de parcours. Le premier, sur 260 hectares, correspond à celui d’origine. Le deuxième, composé de terres plus profondes, s’étend sur 16 hectares. Il est divisé en trois parcs fertilisés par 33 unités d’azote par hectare, pour un pâturage intense et précoce. Les trois cents mères romanes élevées sur l’exploitation du Domaine de la Fage pacagent sur ces deux premiers types de parcours 365 jours par an. Quant au troisième, il forme un site témoin de 3,8 hectares, qui n’a connu aucune interaction avec l’homme et l’animal domestique depuis 1987.
Agroécologie avant l’heure
Depuis 1978, l’Inra effectue, avec l’université de Bordeaux, des relevés floristiques sur des bandes de dix mètres, selon la technique du transect en points contacts. Nous réalisons également, depuis 2012, des relevés systématiques chaque fois que les brebis entrent et sortent des parcs. Le but est de noter les espèces et la hauteur des plantes. Nous pouvons ainsi suivre l’évolution de la flore.
En parallèle, le CEFE, Centre d’écologie fonctionnelle & évolutive, travaille sur la production de biomasse, en fonction de l’utilisation des parcours, et sur la présence d’insectes. Les brebis restent de quinze jours à trois semaines sur un même parc. Elles piétinent le sol, prélèvent de la biomasse et en redistribuent dans leurs déjections.
L’objectif de ces études est de savoir si les pratiques pastorales entraînent une sélection des espèces. Si ces dernières ont une faculté d’adaptation à des perturbations et si des interactions entre les végétaux ont lieu.
Un parc témoin appauvri et inaccessible
Les résultats montrent que le pâturage des plantes a une influence sur la biodiversité. Les espèces pérennes sont préservées au sein des espaces où les animaux paissent peu. En cas de pacage intensif ou de fertilisation, elles ont tendance à disparaître au profit des plantes annuelles.
Quant au parc témoin, sur lequel personne n’a pénétré depuis trente-et-un ans, il s’est refermé. Aujourd’hui, il ne compte plus que des espèces telles que le genévrier, le buis, le noisetier, le pin, le chêne vert… Il ne produit pratiquement plus d’herbe. L’homme et la brebis ne peuvent plus y pénétrer. Les insectes y sont deux fois moins nombreux et de plus petite taille.
Dans le milieu fermé, la diversité biologique est moindre et elle est différente de celle du milieu ouvert, accessible aux animaux et entretenu par ces derniers. C’est l’effet de la pression du pâturage des brebis sur la végétation qui permet de laisser place à une diversité d’espèces.