Nous sommes sauvés

Au 1er janvier 2019, les particuliers ne pourront plus acheter de pesticides de synthèse, conformément à une loi votée en juillet 2015. Les ravageurs ne disparaissant pas à la même échéance, il faut s’attendre à une augmentation des ventes de pesticides homologués en agriculture biologique (AB). Contrairement à une idée solidement ancrée dans l’esprit du grand public, ces spécialités AB ne sont pas sans risque, ni sans inconvénient. Tous les professionnels connaissent la toxicité de la bouillie bordelaise.

Un autre problème, rarement évoqué, concerne un des insecticides bio les plus courants : la pyréthrine, issue du pyrèthre de Dalmatie. Afin de répondre à la demande croissante, cette fleur est cultivée en Tanzanie, au Rwanda, en Papouasie-Nouvelle-Guinée et en Tasmanie. Les plants contenant le principe actif en faible quantité, il en faut 52 000 pour obtenir 25 kg de poudre, selon une étude kényane (1). Comme le confirme le site pyrethrum.com , du groupe australien MGK, leader mondial de la pyréthrine, le pyrèthre est attaqué par des ravageurs et des champignons, contre lesquels les producteurs emploient… l’arsenal conventionnel, bien moins cher que le bio.

Cachez ces traitements que je ne saurais voir

« Les fongicides efficaces contre l’ascochytose du chrysanthème comprennent des éthylène-bis-dithio-carbamates, le captan, le bénomyl, le chlorothalonil et le dichloro-naphthoquinone, écrivent des chercheurs australiens (2). D’autres produits appartenant au groupe des inhibiteurs de la déméthylation, incluant le difénoconazole, ont prouvé leur efficacité. » Quelle quantité de phytosanitaire conventionnel est nécessaire pour produire un kilo de phytosanitaire AB ? Les auteurs ne le précisent pas, mais il est question de « plusieurs applications de ces fongicides ». Le difénoconazole est tout ce que proscrit l’agriculture bio : toxique pour les mammifères, pour les milieux aquatiques, et persistant. Des chercheurs allemands avaient déjà relevé le paradoxe en 2009. Le Kenya produit des fleurs séchées de pyrèthre, mais « 95 % de la pyréthrine brute est exportée vers des pays développés plus soucieux de l’environnement, où elle est vendue à prix premium, laissant le Kenya importer des pesticides de synthèse meilleur marché » (3).

Une vision idéalisée du bio

Les pyréthrines de synthèse, dont le bilan toxicologique global est probablement mieux connu que celui des pyrèthres de Tanzanie, seraient une solution. Non homologuées AB, elles seront bannies de nos jardins dans quelques mois. Les jardiniers amateurs seront enfin délivrés des phytosanitaires conventionnels. Ou plutôt, ils les externaliseront sans le savoir dans les pays en voie de développement. Mais comment le sauraient-ils ? Les médias généralistes n’en parlent pas, entretenant une vision idéalisée du bio. L’écart, déjà énorme, qui sépare les consommateurs des professionnels dans la compréhension des réalités de l’agriculture n’a pas fini de se creuser !

1) Kenya’s pyrethrum industry, 2005, sur epzakenya.com 2) Diseases of Pyrethrum in Tasmania : Challenges and Prospects for Management, 2008, étude coordonnée par Sarah J. Pethybridge et Franck S. Hay, université de Tasmanie. 3) Potential environmental impacts of pesticides use in the vegetable sub-sector in Kenya. 2009, Macharia I, Mithofer D, Waibel H.