Où est l’enjeu sanitaire ?

La recherche d’innovation via l’opportunisme marketing peut jouer un rôle dans la création des peurs chez le consommateur. Souvenez-vous de la campagne d’un grand distributeur, qui vantait que ses végétaux respectaient le quart des LMR (1). Mais la LMR est déjà là pour protéger et est calculée pour cela ! Donc faire une publicité sur ce genre d’allégation, c’est évidemment créer l’angoisse, car cela signifie que la LMR ne suffit pas. À l’époque, il n’y a eu aucune réaction des pouvoirs publics, et je le regrette. Il faut qu’il y ait un gardien du temple pour dire qu’on ne joue pas avec ce genre d’argument ! Autre exemple, la multiplication des allégations négatives, c’est-à-dire des produits « sans » quelque chose. Certaines amènent une information pertinente, comme le « sans gluten » pour les personnes qui sont ou qui s’estiment intolérantes. Mais si ces allégations sont devenues si nombreuses et variées, c’est qu’il y a une volonté de différenciation entre certains compétiteurs économiques. Ces derniers sont aussi nombreux que le nombre d’allégations négatives, chacune contribuant à créer une peur particulière… Qui, lors de crises alimentaires, n’a entendu le refrain : « Nous avons pourtant l’alimentation la plus sûre du monde ! » Surprenant d’être surpris par les réactions de défiance et de peurs quand on a contribué à les créer (certes, en partie seulement, mais quand même !). Ces allégations sont émises avec une puissance de communication qui est énorme, sans commune mesure avec celle d’acteurs publics ou autres pour dire que l’alimentation est saine… Le consommateur voit cet « échange d’Exocets » entre compétiteurs au-dessus de sa tête et finit par penser : « Si le compétiteur A dit qu’il n’y a pas tel truc dans son produit, c’est qu’il ne doit pas être bon… » À la fin, il n’y a pas grand-chose de bon !

Arrêter la course à l’échalote

Dans ce climat médiatique de défiance, où certains ne disent plus bon appétit mais bonne chance, industriels et distributeurs vont devoir admettre que la compétition ne se fait pas sur la sécurité et sur la peur du consommateur. Tant qu’on ne résistera pas à l’opportunisme marketing sur ces sujets, on perdra tous ! Pour autant, si un acteur fait des efforts, par exemple de conservation, il est logique qu’il le dise au consommateur. Évidemment, mais de façon positive !

Prendre les devants

Pour tenter de prévenir certaines crises, je défends l’idée qu’il faut surveiller les signaux faibles qui agitent à bon droit les communautés des scientifiques, des consommateurs, des associations écologistes. Et qu’il faut ouvrir le débat avec ces parties prenantes avant qu’une crise éclate. Après, c’est trop tard : vous êtes dans le domaine irrationnel, émotionnel, passionnel, et vous ne pouvez plus vous justifier. Plus vous communiquez, plus vous vous enfoncez ! En revanche, si vous osez ouvrir en amont le dialogue sur un dossier technique délicat, avec de bons arguments auprès de parties prenantes sérieuses, vous avez de bonnes chances d’améliorer la qualité des débats et l’intelligence collective.

Propos recueillis par Philippe Pavard (2)

(1) Limite maximale de résidus.

(2) Lors du colloque « L’alimentation entre innovation et peurs », à l’Académie d’agriculture, le 30 novembre 2017.