9 000 h de bénévolat !
D’abord le gourou médiatique Pierre Rabhi et sa ferme expérimentale de « Terre et Humanisme ». L’Afis 07 l’a visitée (2), et les piteux résultats agronomiques ne l’étaient que sur la base de l’utilisation massive de travail gratuit et de dons divers et variés. Selon notre calcul, ce sont autour de 9 000 h de bénévolat dont la ferme associative a bénéficié cette année-là. On comprend mieux l’admiration de Laurence Parisot, ex-présidente du Medef, pour Pierre Rabhi, d’autant plus que chez lui une main-d’œuvre « hypnotisée » paie parfois de sa poche pour venir travailler dans le cadre de stages.
Lors du débat sur le glyphosate, j’avais été frappé par ce passage d’un article de Médiapart : « Le désherbage à la main permet de se passer du glyphosate, mais les défenseurs de l’herbicide mettent en avant son coût élevé. The Guardian cite l’exemple du bourg de Wandsworth, à Londres, où l’on recrute des équipes de volontaires pour enlever les mauvaises herbes à la main, sans aucun coût supplémentaire. » C’est sûr que si on ne paie pas les travailleurs, l’employeur n’a à subir aucun coût supplémentaire, c’est logique. !
Chez la ministre Nyssen
Ce ne sont pas que de pauvres paysans désargentés qui ont recours au bénévolat via le « wwoofing », cette pratique branchée qui a banalisé l’idée selon laquelle il est normal de travailler avec pour tout salaire le gîte et le couvert. Voyez cette annonce publiée en août 2017 par le projet agroécologique du « Domaine du Possible » : « Nous recherchons trois bénévoles pour la partie exploitation maraîchère biologique […] Il s’agit de contribuer à des travaux de mise en place de cultures maraîchères bio, à l’entretien de celles-ci, à leurs récoltes, et au conditionnement. » En bref , vous ferez tout le boulot, mais vous ne serez pas payés. Or, il se trouve que le Domaine du Possible est un projet porté par Françoise Nyssen, l’actuelle ministre de la Culture, qui du haut de ses 4,6 millions d’euros de patrimoine, fait donc recruter des bénévoles dans son joujou agroécologique.
Victor (3) a pour sa part répondu à une offre d’emploi proposée par une ferme écolo en Saône-et-Loire, qui l’informe d’abord que « le poste est non rémunéré […] mais c’est une excellente opportunité pour apprendre ». La charge de travail ? « Huit heures par jour ». Toutes les contraintes du salariat, donc… mais sans le salaire. Pourtant, Victor ne tombe pas sous le charme, et ce malgré l’alléchante possibilité de se nourrir de « produits bio issus du jardin » et de dormir « sous tente et caravane à l’intérieur des bâtiments ».
On oblige personne...
Il leur répond très sèchement, et le recruteur reconnaît « avoir oublié d’avoir annoncé » que c’était du bénévolat – en même temps, qui peut imaginer a priori que la main-d’œuvre voudra être payée, hein ? Mais, rassurez-vous : « On oblige personne à avoir la même passion de l’écologie et on ne veut surtout pas être en compagnie de personnes qui se sentent forcées, qui se sentent esclaves. Cela donnerait une mauvaise énergie aux plantes. » Pardon, donc, pour cette tribune acariâtre qui évoque la nécessité de rémunérer le travail agricole, et qui, ce faisant, donne une mauvaise énergie aux plantes !
(1) Rédacteur du blog « La faucille et le labo « sur Médiapart. (2) Association pour l’information scientifique (Afis) : « Notre visite chez des agroécologues ardéchois » (2012). (3) Le prénom a été changé.