« On l’oublie trop souvent : l’agriculture n’est pas une activité comme les autres. Par son rapport à l’environnement, au vivant, à la nature, à la culture et, surtout, à l’alimentation. Des dimensions hautement symboliques, avec des points de friction ou d’interrogation, mais aussi de rassemblement.

Cette activité focalise des questions à la fois universelles et locales : Quel est ce métier ? Quelle est sa légitimité ? C’est quoi, manger ? Quelle est la relation entre les consommateurs et les producteurs censés les nourrir ? Les citoyens consommateurs revendiquent un droit de regard sur ce métier. Il faut organiser la veille sociétale sur ces attentes.

Passion omniprésente

J’ai enquêté auprès d’une vingtaine de jeunes agriculteurs bretons. Les néoruraux se sont d’emblée interrogés sur le sens du métier. Ceux qui reprennent derrière leurs parents sont formés. Ils ont roulé leur bosse ailleurs, mais leurs premières motivations sont liées à la continuation du métier des parents. Chez tous, il y a la passion : pour les animaux, pour les végétaux, pour les machines, pour la sélection… Viennent ensuite la liberté accordée par ce métier, l’autonomie, la volonté d’être ancré dans un territoire. La passion les pousse, les domine, parfois sans limites. En particulier sur le temps de travail ou le niveau de revenu. Beaucoup se sont dotés des moyens pour être autonomes dans leur activité. Parfois, au prix d’un certain isolement. Leurs réseaux ne sont plus toujours de proximité, mais davantage constitués avec les anciens de leur école, ou avec leurs syndicats.

Sur les attentes sociétales, les jeunes sont moins armés. Ils les conçoivent en termes de pression : économique – exigences des IAA –, environnementale, sociétale, médiatique… Malgré leur formation poussée, le marché reste souvent un point obscur. Les échelons intermédiaires sont puissants et opaques. Peu d’entre eux savent précisément ce que font les transformateurs de leur produit.

De grandes distances se sont installées entre agriculteurs et consommateurs. On a enlevé de l’alimentation sa valeur spécifique. Or, le travail de production d’aliments est tout sauf banal. La transparence et la traçabilité tout au long de la chaîne sont des clefs d’avenir. Cela obligerait les transformateurs et distributeurs à faire davantage attention à l’origine. Ainsi, la laiterie Le Gall à Quimper a distingué son beurre en identifiant sa provenance et sa qualité. Si on veut récupérer de la valeur ajoutée, il faut ajouter de la valeur au produit, une valeur que le commerce pourra plus difficilement détruire. Encore faut-il que celle-ci soit visible, qu’elle ait du sens, comme les produits de la marque “C’est qui le patron”. Parler du lieu, des méthodes de travail, des paysages, sont autant de pistes pour retrouver de la valeur ajoutée.

Agribashing, mot-valise

Enfin, attention à ne pas surfer sur l’agribashing, un mot-valise inapproprié qui mélange tout, les problèmes économiques, sociétaux, environnementaux… Il fait croire aux agriculteurs qu’ils ne sont pas aimés ou, pire, qu’ils sont devenus pestiférés. Ce qui est heureusement faux. Tous les sondages le montrent. »

Propos recueillis par M.-G. Miossec

(1) Rémi Mer est l’auteur du livre Dans la tête d’un jeune agriculteur.