La solitude, premier facteur pathogène

L’exploitation agricole a ses spécificités par rapport aux PME-TPE des secteurs de l’industrie et des services : travail avec le vivant, plus grande difficulté à concilier vie professionnelle et familiale comme en témoigne le fort taux de célibat, endettement supérieur. Malgré tout, elle partage de nombreux points communs avec ces petites et moyennes entreprises. Les problèmes de trésorerie empêchent aussi les agriculteurs de dormir. La complexité de l’environnement économique, le manque de reconnaissance sociale et de soutien nourrissent également un sentiment d’isolement.

En position de responsabilité, les uns et les autres sont confrontés aux mêmes « facteurs pathogènes » :

l Le stress tout d’abord, qui devient néfaste s’il est récurrent et prolongé.

l L’incertitude des prix, des marchés ou du carnet de commandes.

l La solitude. C’est l’élément le plus insidieux. Une étude de la BPI, Banque publique d’investissement (1), a montré que la solitude est un facteur éminemment pathogène, qui altère la santé et qui peut tuer. Le soutien de la famille est important, mais il ne suffit plus. Être entouré dans son métier est indispensable : si vous n’aimez pas les syndicats, rejoignez un club d’entrepreneurs ou un autre groupe. Ne restez pas seul !

Savoir sortir la tête du guidon

Ces facteurs pathogènes sont normalement compensés par des facteurs « salutogènes » : le sentiment d’avoir choisi son destin, l’endurance, la capacité de rebond, l’optimisme, la fierté de l’ouvrage bien fait. Être à son compte est fondamentalement bon pour la santé. À condition toutefois de ne pas se noyer dans un « surprésentéïsme » (versus « absentéïsme »), et de « sortir la tête du guidon ».

La posture de l’indépendant, du battant qui ne se plaint jamais et qui va bosser même s’il est malade, use. Avec une durée moyenne de 55 heures par semaine, les indépendants sont de très loin les plus gros travailleurs. Passer du « leadership » au « secondship » en apprenant à s’entourer et à déléguer est nécessaire pour durer. Les agriculteurs doivent réfléchir à leur capacité à développer leurs propres filets de sécurité. Quelles sont les protections à construire collectivement pour éviter que l’un d’entre vous ne craque ? Quelles sont les solidarités à développer pour aider les exploitations en difficulté à se relever plus vite ?

La santé du dirigeant

Aujourd’hui, les travailleurs non salariés, agriculteurs, artisans, commerçants, professions libérales représentent trois millions de personnes en France. Et 99,84 % des entreprises sont des PME-TPE. Deux tiers d’entre elles n’ont pas de salarié (2). Il est plus que temps de se préoccuper de la santé de leurs dirigeants, car c’est la première valeur immatérielle de l’entreprise. »

Anne Bréhier

Olivier Torrès est intervenu le 14 septembre devant les élus de chambre d’agriculture de Saône-et-Loire, un département où les responsables agricoles ont été interpellés par une série de suicides d’éleveurs ces derniers mois. (1) Elle a été publiée en novembre 2016, sous le titre « Vaincre les solitudes du dirigeant » (www.bpifrance-lelab.fr). (2) Ces PME-TPE représentent la moitié du PIB et 7 millions d’emplois.