Une émancipation progressive

Dans le milieu agricole, les femmes ont dû se battre pour avoir une place reconnue sur l’exploitation. Elles sont passées du statut de « mariée à », au XVIIIe siècle, à « femme de » dans les années 1950. Il a fallu attendre 1970 pour qu‘elles se libèrent des conditionnements sociaux et accèdent aux formations. Elles sont alors devenues « co-exploitantes », avec leur mot à dire sur les décisions de gestion. Mais il a fallu attendre les années 80 pour qu’elles accèdent pleinement au statut « d’agricultrice ». L’aide à l’installation (DJA) ne leur a été accordée qu’à la fin des années 80. Se marier à un agriculteur ou diriger une exploitation est désormais leur choix.

Le respect de leurs pairs

Aujourd’hui, les agricultrices représentent un quart des chefs d’exploitations. Elles ont conquis, pas à pas, la reconnaissance de leurs pairs. Je me souviens de l’arrivée des premières filles dans les lycées agricoles dans les années 70 : ultra-minoritaires, elles se sont affirmées par leur sérieux et leur travail. La manipulation des animaux, la conduite d’engins et la prise de parole n’étaient plus les prérogatives des garçons. La tendance est maintenant inversée : les filles représentent plus de la moitié des effectifs de l’enseignement agricole et le corps professoral s’est aussi féminisé. Les agricultrices ont également trouvé leur place dans les organismes professionnels, jusqu’aux présidences de la FNSEA, de la Fnab et de la FNO ! Autre signe de changement : en 2017, une jeune femme a fait l’affiche du Sommet de l’élevage. Une première depuis sa création, il y a vingt-cinq ans. Et, il en est de même cette année.

Le langage du cœur

Je caricature un peu, mais quand on l’interroge sur son métier, une agricultrice parlera de « vie » et de « sens », avec des mots qui touchent au cœur. Un homme répondra plutôt en termes de rendement et de matériel. Axé sur la technique, il se sentira agressé en cas de critique de ses pratiques agricoles. Il aura tendance à fuir le débat ou bien à l’aborder de façon agressive. Dans les deux cas, la communication ne passera pas.

Des médiatrices naturelles

L’aide des agricultrices sera essentielle pour réhabiliter l’image écornée du métier. Depuis l’échec des États généraux du développement agricole lancés en 1983 par Edith Cresson, ministre de l’Agriculture de François Mitterrand, l’écart s’est creusé entre producteurs et consommateurs. La tendance s’inverse et nos concitoyens retrouvent de l’intérêt pour leur alimentation et l’agriculture. C’est une occasion unique de renouer le dialogue ! Entretenir les oppositions serait un très mauvais calcul, car seule, l’agriculture n’a plus assez de poids politique et économique. Nos concitoyens doivent comprendre l’importance de l’agriculture pour des produits de qualité, pour la souveraineté alimentaire et pour la vie des territoires ruraux et des terroirs. En exprimant leur passion et leur fierté pour le métier, les agricultrices seront des porte-parole de choix. Elles useront de leurs qualités de médiatrices avec les consommateurs, comme elles l’ont fait de tout temps dans leurs familles.

Propos recueillis par Sophie Bergot

Joël Magne est intervenu sur le thème « Agricultrices et société » à une Journée autour de la famille agricole le 20 octobre dernier, organisée par le groupe Dfam03.