La victoire amère de l’exploitation familiale

Pendant des siècles, le paysan a cherché à assurer la reproduction de sa famille. Le temps était circulaire, le futur ressemblait au passé. Le foncier et la force de travail familiale étaient les deux ressources clés de ce modèle vivrier. Avec la révolution silencieuse de l’après-guerre, la civilisation paysanne est remplacée par un secteur agro-industriel où l’exploitation familiale n’est plus qu’un fournisseur de matières premières. La transition vers la création d’une nation agricole exportatrice a été vue comme une victoire éclatante, mais amère dès que les agriculteurs ont compris que, d’une majorité, ils étaient devenus une minorité. Le grand gagnant a été le consommateur ingrat.

L’agriculture familiale dans l’impasse

Pendant cinquante ans, pour augmenter le revenu agricole par exploitant, la stratégie dominante a été de baisser les coûts de production pour pallier la baisse des prix réels. Les gains de productivité du travail ont été multipliés par 4 depuis 1980. Cette fois, le futur ne ressemble plus au passé. Le temps est aux projets. Mais à quel prix ? Les agriculteurs ont dû énormément investir, s’endetter et travailler, autour de 60 heures par semaine, sans comptabiliser le coût réel du travail. L’exploitation agricole à deux UTH, symbole d’un petit entreprenariat familial, a atteint ses limites. Elle a perdu en efficacité et est devenue intransmissible, un comble.

Toujours plus et pas cher

La compétitivité « coût » n’est pas achevée. Le monde s’accélère, se globalise, s’urbanise et exige toujours plus et pas cher. Désormais, on est entré dans le deuxième âge de la machine avec la révolution numérique. Drones, robots, outils connectés, algorithmes, intelligence artificielle sont en train de construire un monstre technologique. Trois conséquences sont possibles : un risque de perte d’autonomie de la décision de l’agriculteur car les machines, en plus de savoir calculer, apprennent et sont capables de prendre de meilleures décisions que l’homme. On assiste également à une révolution du conseil : que devient le rôle du contrôleur laitier dans un monde de robots de traite et d’alimentation de vaches connectées suivies en continu ?

Vers des fermes collaboratives

On se dirige vers la fin de l’exploitation familiale : les technologies numériques coûtent cher. Certains les mutualisent et inventent la ferme collaborative regroupant plusieurs exploitations. La firme agricole plus capitalistique, plus entrepreneuriale, plus salariale devrait aussi se développer. Enfin, on doit imaginer que le monde de l’agroéquipement intégrera verticalement de plus en plus les exploitations. Les ingénieurs traiteront les données massives et donc la décision.

Garder le contrôle

L’enjeu pour l’agriculteur est d’adopter une démarche de management stratégique pour garder le contrôle du pilotage de son exploitation en situation complexe et améliorer sa performance globale.

Aude Richard