Dans cette affaire jugée à Paris, « l’une des plus importantes fraudes alimentaires de ces dernières années », « la traçabilité a été méticuleusement torpillée » dans des entrepôts néerlandais puis en France chez Spanghero, a fustigé la procureur Aude Le Guilcher dans un réquisitoire de plus de trois heures.
Aucune conséquence sanitaire
Ce scandale, qui n’avait eu aucune conséquence sanitaire, avait éclaté au Royaume-Uni au début de 2013 et s’était propagé à toute l’Europe. Des marques comme Findus et Picard avaient découvert que les lasagnes et autres hachis parmentiers « pur bœuf » qu’ils commercialisaient contenaient en fait, pour des milliers d’entre eux, du cheval.
Le volet Spanghero est le plus retentissant. Deux ex-responsables de cette société implantée en Occitanie et deux négociants néerlandais en viandes sont poursuivis pour escroquerie en bande organisée et tromperies, soupçonnés notamment d’avoir vendu entre 2012 et 2013 au fabricant de plats préparés Tavola plus de 500 tonnes de cheval comme étant du bœuf.
Une fraude organisée « de concert »
Aux yeux de l’accusation, ces deux binômes, des « professionnels de la viande », « ont organisé de concert » la fraude. Selon le « mécanisme parfaitement huilé » décrit par la magistrate, le négociant néerlandais en viandes achetait du cheval roumain ou canadien, ensuite dépouillé de ses étiquettes dans les frigos néerlandais de son bras droit.
La viande partait pour l’ex-entreprise Spanghero à Castelnaudary (Aude), sans mention explicite de l’espèce « cheval » ou de la provenance canadienne – synonyme de cheval – d’une partie de la marchandise. Chez Spanghero, le directeur général et le patron de l’usine « brouillaient encore plus la traçabilité », selon la procureure.
La valse des étiquettes
Les étiquettes apposées laissaient croire que la viande était transformée sur place, puis était enfin réexpédiée à Tavola, au Luxembourg, étiquetée comme du bœuf. L’ancien directeur de l’entreprise Spanghero et le négociant néerlandais avaient un intérêt financier « tout particulier » dans ces manœuvres, affirme le parquet.
Le négociant, spécialiste du cheval, pouvait en « écouler de grandes quantités » en Europe de l’Ouest, et le chef d’entreprise français redressait plus rapidement Spanghero, en grande difficulté. La marge « tout à fait exceptionnelle » qu’ils ont réalisée « sur le dos de Tavola » en lui vendant le cheval au prix du bœuf constitue « quasiment la signature de l’escroquerie ».
Prison et amendes
Contre le négociant néerlandais, « grand organisateur de la fraude », la procureure a requis quatre ans de prison avec mandat d’arrêt. Déjà condamné aux Pays-Bas dans une affaire similaire avec son bras droit, le prévenu est menacé par deux autres affaires portant également sur de la viande de cheval.
La magistrate a demandé trois ans de prison, dont deux avec sursis, contre le dirigeant de Spanghero, ainsi que la confiscation de plus de 870 000 € saisis et son interdiction définitive d’exercer dans la viande en France, comme pour le négociant néerlandais. Les deux prévenus réfutent les accusations et se renvoient la balle.
La procureure a également requis dix-huit mois d’emprisonnement avec sursis contre le bras droit du Néerlandais et deux ans avec sursis et 10 000 € d’amende contre celui du Français. Selon le parquet, il n’est pas certain que les quatre prévenus aient eu conscience des « effets catastrophiques qu’ils ont engendrés en chaîne ».
Licenciements en chaîne
Parmi ces conséquences « prévisibles », « des centaines de personnes licenciées, pas seulement chez Spanghero » ; des entreprises qui « n’ont pas survécu » comme Tavola ; deux filières (la viande et les plats cuisinés) « totalement déstabilisées » et une confiance des consommateurs qu’il est « extrêmement difficile de regagner ».
Le négociant néerlandais et les deux ex-dirigeants de Spanghero sont aussi poursuivis pour l’importation de 65 tonnes de viande de mouton séparée mécaniquement, méthode interdite depuis la crise de la vache folle. Et les Français pour avoir détruit ou altéré un certain nombre de preuves. Le procès se termine mercredi avec les plaidoiries de la défense.