À 51 ans, Bruno David rayonne : dans un flot de paroles, il raconte les rencontres inespérées qui l’ont amené de l’agriculture à la mécanique. À 16 ans, Bruno, fils unique, rejoint son père sur la ferme familiale. Docile, il abandonne ses espoirs de suivre un BEP en électronique et devient aide familial, avant de s’installer avec son père. Puis suivent un mariage, à 22 ans, et deux enfants. La ferme en Loire-Atlantique qui occupe les deux hommes reste modeste : 60 ha de polyculture-élevage avec un quota de 60 000 l de lait. Les résultats économiques, corrects au début, s’effritent à partir des années 2000. La ferme vivote et Bruno sent la lassitude qui s’installe, le goût pour les vaches qui s’évanouit… Moins épaulé par son père vieillissant, il traîne sans cœur des journées à rallonge.

La ferme vivote

Son divorce en 2016 est un électrochoc. Trois mois après la séparation, Bruno, « jamais malade », enchaîne deux phlébites et échappe au pire. Son médecin lui déconseille l’élevage : un mauvais coup est vite arrivé. Mais a-t-il vraiment le choix ? Bruno se sent coincé.

L’annonce à son père

C’est dans cette ambiance morose qu’il reçoit un appel de l’assistante sociale de la MSA, insistant pour le rencontrer. Convaincante, elle l’inscrit à une session « Avenir en soi » de la MSA : sept jours répartis sur six mois pour faire le point et reprendre confiance en soi. Bruno saisit la perche, malgré une organisation compliquée pour la traite. Il ne le regrettera pas : « J’ai pris conscience que j’étais “empêché” dans ma vie. » Un autre avenir lui semble désormais possible. Il poursuit par la formation « Continuer ou se reconvertir » (lire l’encadré) et ressort marqué par le témoignage d’une éleveuse qui disait « revivre » en abandonnant le lait. C’est décidé : il arrêtera les vaches et la ferme dans deux ans et demi, en décembre 2020.

Reste le plus dur : le dire à son père. Pour le fils dévoué et loyal, c’est une « montagne ». Prenant son courage à deux mains, à la veille de ses 47 ans, il lui annonce. « Il y a eu un blanc, puis il a dit avec un petit sourire : “Tu as bien raison, mais protège bien les terres.” » Le soulagement de Bruno est immense. Il ne lui reste plus qu’à préparer son départ, résilier ses baux et vendre ses bêtes. Il signera des baux précaires avec des éleveurs de chevaux sur ses terres et conservera les bâtiments et le matériel.

BTS en alternance

Au cours d’un bilan de compétences, lui qui n’a que le brevet, renoue avec son rêve d’enfant : être technicien de maintenance. Le Greta (formation pour adulte) l’accepte et la Région le finance pour son bac pro maintenance des équipements industriels (MEI) à la rentrée 2020. À 50 ans, Bruno obtient son bac avec une mention « très bien ». Ses profs le poussent à poursuivre par un BTS maintenance des systèmes de production (MSP) en alternance à Saint Félix-La Salle (là même où il voulait étudier 35 ans plus tôt).

Sans trop y croire, Bruno envoie huit candidatures… Il reçoit huit offres. L’agriculteur rompu aux réparations électriques et mécaniques plaît aux entreprises. Il signe un contrat de professionnalisation avec Sofop Talia, leader français de l’outillage pro, à Montoir-de-Bretagne. Son chef Sébastien Hurtrel, qui a toujours misé sur l’apprentissage pour ce métier en tension de recrutement, espère le garder : « Bruno a de la maturité, est hypermotivé et travailleur, et il a déjà de l’expérience. » Bruno ne tarit pas d’éloge sur son entreprise et son métier qui n’a « rien du travail à la chaîne ». « Mon père espérait sûrement que je revienne à la ferme, mais je suis trop heureux ici. » Dans ses semaines au lycée avec des jeunes de 19 ans, il est « papa », délégué de classe et mascotte. Il sortira diplômé en juin 2023.

Sophie Bergot