L’homme, désormais retraité, mais toujours actif sur l’exploitation maraîchère de sa fille aînée, dans l’Oise, aime parler aux journalistes qui le dépeignent comme le dernier des Mohicans. Une « revanche sur le temps où on avait honte d’être un cul-terreux ». Certificat d’études en poche, l’adolescent aux yeux bleus est revenu immédiatement « dans les champs », en Plaine Saint-Denis, appelée aussi plaine des Vertus. « Mon père ne m’a pas laissé le choix, mais à l’époque c’était comme ça. C’était ma place et ça me plaisait. J’aimais le contact avec les ouvriers. D’ailleurs, ils me prenaient sous leur aile quand papa était trop dur avec moi », se souvient le Breton par sa grand-mère, qui fut la première génération à venir s’installer près de la capitale.
Souvenir des Halles de Paris
Ce territoire fertile s’étendait de Pierrefitte à Stains. Plus de soixante maraîchers et leurs ouvriers y vivaient, avant que les expropriations successives les exilent en grande couronne et au-delà. René Kersanté était le dernier. Il a pris sa retraite à soixante-dix-sept ans, après plus de soixante années de labeur. Il y a cultivé jusqu’à 15 hectares, avant que « les bulldozers ne fichent tout par terre, poursuit-il. Je n’ai jamais voulu partir. J’ai fait vivre beaucoup de monde. Nous embauchions jusqu’à quarante personnes, qui étaient heureuses de venir travailler. La maison était bonne. »
Lorsque la municipalité a racheté les terrains à leurs propriétaires en 1983, son père et lui sont allés voir leur maire, Marcelin Berthelot. « Il nous a promis que l’on pourrait travailler sereinement, raconte René. C’est ce que nous avons fait pendant les trente-cinq années qui ont suivi. »
Le maraîcher a cédé son exploitation l’année dernière aux fermes de Gally. « Une chance », pour celui qui se souvient encore des cloches sur les salades et des Halles de Paris, où il se rendait parfois avec sa mère. « À l’époque, on faisait tout à la main, du plant à repiquer à la salade finale. Quand les végétaux en motte sont arrivés, j’ai été parmi les premiers à me laisser convaincre. À la fin de ma carrière, le travail était moins pénible », confie René.
Le « conteur d’histoire » est aussi un passionné de photos. Ses images retracent les techniques anciennes de maraîchage et l’évolution de l’agriculture périurbaine. Des clichés qui marquent le temps. Exposés dans la toute nouvelle Ferme urbaine de Saint-Denis, au 114, avenue de Stalingrad, ils côtoient les cultures hydroponiques et high-tech, comme des vestiges d’un temps où Paris se fournissait en pleine terre, à moins de cinq kilomètres de son cœur.
Pauline Bourdois