Depuis maintenant plus d’une décennie, la Commission européenne a appliqué la méthode rugbystique du dégagement hors des 22 mètres aux pratiques commerciales déloyales : passer ce dossier sensible d’un mandat à l’autre, en évitant soigneusement toute réglementation. Cela s’est traduit à de multiples reprises par des initiatives non contraignantes (rapports, forums, groupes à haut niveau, etc.) permettant de parler du sujet, de le maintenir en vie politiquement, sans prendre le moindre risque.
Chaque État membre, en fonction de sa sensibilité et des relations commerciales nationales, s’est engagé, ou pas, dans une réglementation. L’Espagne, en pointe sur le sujet, a mis en place une structure de suivi des pratiques commerciales, assortie d’un mécanisme de sanctions réelles ; le Royaume-Uni, un régulateur sans véritable capacité d’action.
Dès son arrivée, le commissaire à l’Agriculture irlandais, Phil Hogan, a pris de court ses propres services en faisant de ce thème une priorité politique, avec la promesse d’agir à l’échelle européenne, malgré les réticences de plusieurs de ses collègues également compétentes en la matière, telles que la Polonaise Elzbieta Bienkowska, en charge de l’industrie, et la Danoise Margrethe Vestager, côté concurrence.
Maintes fois reporté, le dossier semble à nouveau sur les rails, avec d’un côté une étude d’impact et, de l’autre, une consultation publique, lancée le 16 août. La Commission étudie la possibilité d’établir a minima une liste de pratiques commerciales déloyales, sans qu’il soit clairement indiqué à ce stade la méthode qui permettrait concrètement de mettre fin à ces pratiques. Délais de paiements, changements de clauses contractuelles sans crier gare, remise en cause de commandes au dernier moment pour des produits périssables, financement forcé d’opérations commerciales, demande d’avances financières pour sécuriser ou obtenir des contrats… Telles sont les principales pratiques pointées du doigt par les documents préparatoires élaborés par Bruxelles.
Il est désormais envisagé de présenter une proposition en 2018, une fois achevée la période de consultation. Il reste maintenant à savoir si la Commission laissera une nouvelle fois glisser le calendrier pour transmettre le dossier aux prochaines équipes qui lui succéderont en 2019 ou si, cette fois, une proposition en bonne et due forme sera formulée à propos d’un sujet dont tout le monde parle et sur lequel peu s’activent, jusqu’à présent. Si elle entend réellement agir, la Commission devra mettre sa proposition sur la table suffisamment tôt pour permettre aux colégislateurs que sont le Conseil et le Parlement européen de prendre des décisions avant les élections européennes de mi-2019. Le calendrier est donc plus que serré pour que cette proposition, si proposition il y a, ne disparaisse pas à la faveur du renouvellement des institutions.