Dans un billet du 26 octobre dernier, Luc Vernet dressait l’état d’avancement du processus – mal engagé – de la réforme de la Pac, en dessinant ce qui serait, selon lui, la ligne d’affrontement idéologique, dixit : « Il reste un clivage entre les tenants d’une “orientation vers le marché”, et ceux qui, à l’inverse, voudraient sortir l’agriculture des marchés, pour en faire un secteur intégralement administré par la puissance publique. »

Cette lecture du débat me semble caricaturale et dangereuse. L’opposition binaire décrite ici reviendrait à faire accepter la situation actuelle de la Pac, en agitant des spectres surannés. Il y a une différence fondamentale entre le néolibéralisme à l’œuvre aujourd’hui et l’idéal libéral où l’on promeut et protège les libertés individuelles. L’économie sans règle, c’est la loi de la jungle et celle du plus fort. Les Anglo-Saxons ont cette expression to level playing field (aplanir le terrain de jeu) pour justifier le besoin de règles, afin que la concurrence entre les acteurs soit juste et utile.

Ainsi, l’opposition n’est certainement pas entre marché et planification. Il s’agit, au contraire, de penser les régulations qui permettent d’améliorer le fonctionnement des marchés. Quand ils fonctionnent correctement, les marchés sont le mode de coordination le plus efficace. Mais force est de constater que les marchés agricoles ne marchent pas aussi bien qu’en théorie, et les prix sont bien souvent très loin du « niveau d’équilibre », vers lequel l’ajustement de l’offre et de la demande devrait les faire converger.

Pour faire avancer le débat sur une réforme en profondeur de la Pac, il convient de faire preuve d’imagination, de pragmatisme et de regarder ce qu’il se passe ailleurs. C’est ce que nous faisons dans le think tank Agriculture stratégies, pour tenter d’alimenter un débat par trop cadenassé par les tenants du statu quo.

Sur notre site internet, nous nous intéressons, notamment, à la politique agricole américaine, celle à l’œuvre et non celle que les Américains nous conseilleraient d’adopter pour contrecarrer, là aussi, l’émergence d’une véritable Europe politique. On peut y voir, entre autres, qu’il y a toujours des quotas et un prix minimum pour le sucre, que le prix du lait payé aux producteurs est régulé par des formules dépendant des prix des produits laitiers, ou encore que les producteurs de grandes cultures comptent bien plus sur les aides contracycliques – qui leur garantissent 202 dollars/tonne pour le blé – que sur les assurances pour garantir leur revenu.