Peut-être ce citadin a-t-il aperçu à la télé un monde, présenté comme véridique, où des vaches à double fond laitier sortent de la salle de traite pour se faire téter par d’adorables veaux, avant de se rendre chez un kiné pour se faire gratter le dos comme vous et moi… Vision idyllique, capable d’inciter un Parisien souffrant et esseulé à partir en goguette s’installer en pleine nature !

Dans un roman appelé Tout homme est une nuit (Seuil, 2017), Lydie Salvayre (prix Goncourt 2014) imagine son héros fuyant l’air pollué, et parvenant à la porte d’un bistrot de village pour se heurter à de visages fermés, parce qu’ils voient un étranger surgi comme un attentat à leur quiétude bougonne… Que s’est-il passé ? Lydie Salvayre oubliera de dire que les habitants se sont repliés dans le dernier café, que les magasins disparaissent, que la seule entreprise a fermé ses portes, qu’il n’y a plus de médecin, de fête patronale et de sortie de grand-messe, que les cloches elles-mêmes se sont tues… Quant au citadin, porteur d’une espérance déçue, s’il est là, seul et souffrant, n’est-ce pas aussi parce qu’il fut un banlieusard désargenté, tenu en mépris par la ville enrichie ?

Le regard désobligeant, plein de silences impénétrables, n’est pas le seul fruit d’un territoire, fut-il en apparente déshérence. C’est le produit de préjugés, nourris de stéréotypes entretenus par une constante désinformation. Les mots, les expressions, les descriptions négatives d’un simple roman peuvent tourner à l’offense. Une récente étude du Secours catholique montre à quel point un mauvais regard peut accroître les sévices d’une pauvreté parfois bien réelle. On demande aux émigrés d’adopter nos usages, demandons aux citadins attirés par la campagne de s’intéresser aux mœurs locales, en s’efforçant avec doigté d’en comprendre le sens, pour aider à les revaloriser.