Un air d’enthousiasme s’est emparé des négociateurs des textes européens qui encadrent les produits issus de l’agriculture biologique. Les États membres étant parvenus à décrocher un consensus, le 26 juin au soir, sur les points les plus sensibles du dossier – les dérogations en cas de contamination par des substances chimiques non autorisées et la culture hors sol, notamment – un accord à l’arraché redevenait donc possible, avant le terme de la présidence maltaise de l’UE, fixée au 30 juin à minuit.
Mais, accord ou pas, les quarante mois de négociation, les innombrables groupes de travail et les plus de 215 pages de document de compromis ont mis en lumière la fracture profonde du secteur et la diversité des positions d’un pays de l’UE à l’autre. Les pourparlers sur ce projet de règlement, qui offrait, au départ, une vision « rigoriste » de l’avenir de l’agriculture biologique, ont montré l’ampleur des tiraillements entre, d’un côté, les tenants d’une expansion du rayon bio pour répondre à la demande, quitte à fermer les yeux sur la nature des pratiques agricoles, et, de l’autre, les « puristes », soucieux de résister à l’appel d’air, afin de préserver « l’esprit de la bio », quitte à décevoir une partie des potentiels consommateurs.
Si l’on en doutait, cet épisode l’a confirmé : il n’existe pas de vision commune, européenne, de l’agriculture biologique. La tension entre les deux voies possibles pour l’avenir du bio est loin d’être tranchée par ces années de débats. Au contraire ! Un nouveau champ de bataille économique et politique s’est ouvert. Avec, désormais, en ligne de mire un nouveau front, celui des accords internationaux.
Depuis quelques années, l’Union européenne a engagé le secteur de l’agriculture biologique dans des négociations bilatérales dites « d’équivalence », par exemple avec le Canada, les États-Unis, ou encore le Chili. Ces accords visent à faciliter les échanges, en acceptant l’asymétrie de certaines normes : l’Europe négocie non pas les tarifs douaniers, comme elle le fait habituellement dans les négociations commerciales, mais les standards eux-mêmes. En d’autres termes, elle ouvre la voie à la vente, sur le marché communautaire, de produits bio avec un même label, alors qu’ils ont été produits de façon tout à fait différente, non « conforme ».
Les discussions extrêmement techniques laisseront, la plupart du temps, de marbre les consommateurs peu informés. Néanmoins, ces « équivalences », qui deviennent vite de véritables « flexibilités », ouvrent la voie à l’utilisation d’itinéraires culturaux ou de techniques de transformation interdites en Europe, y compris, parfois, pour l’agriculture conventionnelle ! Certaines de ces pratiques pourront, a minima, surprendre les consommateurs avisés, qui auront de plus en plus de mal à s’y retrouver dans les 50 nuances de bio cachées derrière un seul et même logo.