«C’est une évidence. Cette année, nous allons lever le moratoire sur la vente de la terre en Ukraine. » Cette assurance du ministre des Finances, Oleksandr Danilyuk, le 13 mars, est inédite. Elle pourrait sonner le glas d’un serpent de mer de la politique ukrainienne. Dans ce grand pays agricole, aux 47,2 millions d’hectares (Mha) de terre arable, le gouvernement a interdit, en 2000, le négoce de la terre.
À l’origine imposé pour trois ans, ce moratoire a ensuite été reconduit chaque année. En 2017, dans le cadre du programme d’assistance financière du FMI, et des réformes structurelles qui le conditionnent, le moratoire doit être impérativement levé.
Marché des baux
Aujourd’hui, 10 Mha appartiennent à l’État, 7,2 Mha sont des lopins communaux ou collectifs, et 30 Mha sont détenus par 23 millions de propriétaires. Parmi eux, 45 000 agriculteurs qui exploitent 21,5 Mha. Et 80 % ont moins de 200 hectares. Une structure héritée des privatisations qui avaient suivi l’indépendance du pays de l’Union soviétique en 1991. Du coup, le marché des baux est très actif, avec 4,7 millions contrats de locations conclus par an, pour une durée moyenne de 7,6 ans.
Le moratoire a été vivement critiqué. Nombre de propriétaires sont désormais trop âgés pour cultiver leurs terrains, et ne reçoivent que de maigres fermages. À 34 €/ha, c’est le plus bas d’Europe.
Appétits mondiaux
Une libéralisation du marché de la terre permettrait de développer les zones rurales et d’encourager les investissements en agriculture. L’État profiterait de la vente de lopins sous-exploités. La levée du moratoire mettrait aussi fin aux pratiques illégales et opaques de négoce de la terre, qui se sont développées.
Les enjeux de la réforme sont néanmoins colossaux. Les experts pointent du doigt les lacunes du cadastre national. Les lopins de l’État ne sont pour la plupart pas enregistrés. Les lopins communaux, eux, sont souvent mal délimités. Sans parler des millions d’hectares de terres collectives sans statut juridique clair. Une réforme du code de la terre ne sera efficace sans de sérieux ajustements techniques et juridiques préalables. Il faudra aussi des protections légales pour les propriétaires, afin d’éviter spéculations et saisies agressives de lopins.
Serpent de mer éminemment politique, la question de la libéralisation du marché de la terre a d’ores et déjà causé du remous au Parlement, où pas moins de deux propositions de loi sont l’objet de controverses. D’autres projets sont attendus dans les prochains mois. Une bataille politicienne toute kiévienne, qui pourrait avoir des conséquences mondiales. Selon les estimations, la production agricole ukrainienne aurait le potentiel de subvenir à 600 millions de personnes, soit la moitié de l’Afrique. La bonne gouvernance du tchernozem, la fameuse terre noire, aurait donc des répercussions sur la sécurité alimentaire mondiale.