L’accent mis, au sens propre comme au figuré, sur les territoires par le nouveau Premier ministre dans son discours de politique générale le 15 juillet a, certes, soulevé un espoir : celui que la France dite « d’en bas » soit mieux entendue et moins broyée par une administration centralisée, peu au fait des réalités de terrain. Mais le simple fait d’avoir cité quelque vingt-cinq fois le mot territoire ne suffira pas à éclairer l’avenir sous un nouveau jour. En particulier pour le monde agricole et rural. Si défendre la territorialité, c’est accorder une bonne dose d’initiative et d’autonomie de moyens pour tenir compte de la diversité des situations, tout en préservant un certain maillage, on ne peut qu’ouvrir grand les bras. Si, par contre, cela se cantonne à déléguer une gestion de… pénurie, on est en droit de se montrer plus circonspect.
L’heure de vérité ne tardera pas à arriver, avec en toile de fond l’avenir de la Pac et de fonds européens, tels que le Feader, qui concernent directement les Régions et l’agriculture, donc les territoires. L’État qui, fin 2019, a voulu mettre la main sur la majorité de ces fonds (rangés sous le vocable « second pilier de la Pac », NDLR) n’a pas donné là un grand signe de décentralisation, sous couvert d’harmonisation du dispositif entre Régions. Sont concernées les inévitables ICHN, destinées à compenser les handicaps naturels et dont la révision de leur zonage a fait grand bruit, les MAE, mesures agroenvironnementales, susceptibles, justement, de compenser la perte des ICHN pour certaines exploitations, ou encore les aides au bio, secteur jugé politiquement porteur, s’il en faut. Les Régions, elles, garderaient des aides à l’investissement et à l’installation, mais dans le cadre d’enveloppes resserrées.
Les négociations budgétaires européennes très tendues pour l’après-2022, à travers lesquelles le montant du fameux Feader est remis en cause, ont réveillé les promoteurs d’une régionalisation plus forte de la Pac, Bretagne en tête. Pas forcément toutes pour les mêmes raisons, les régions d’élevage ont tout lieu de jouer des coudes pour préserver une part du gâteau, sous une forme ou une autre. Faute de quoi, la démographie des éleveurs dans certaines zones fragiles aura bien du mal à remonter la pente.
La période de transition 2020-2022, qui voit fleurir toutes sortes de propositions sur la future Pac et la redistribution des aides (lire À la une, page 12) est donc beaucoup moins assoupie qu’il n’y paraît. Entre arbitrages européens et arbitrage nationaux, le nouveau ministre de l’Agriculture, Julien Denormandie, sera vite au cœur des négociations et au pied du mur de leur cohérence politique.