Quand le phosphore manquera, le monde tremblera ! On n’en est pas encore là, heureusement, mais les alertes des scientifiques sont suffisamment sérieuses vis-à-vis de cet élément nutritif, indispensable aux plantes et au vivant, pour que cette problématique soit prise de plus en plus à bras-le-corps. De nombreuses études internationales s’y penchent et, la semaine dernière, l’Académie d’agriculture y consacrait encore une séance de travail (1). L’agriculture consomme en effet 90 % de l’extraction des roches phosphatées au niveau mondial, principalement pour les cultures mais aussi dans une moindre mesure pour les compléments minéraux destinés à l’élevage. Or, un pic d’exploitation minière nous est promis vers 2050, pic au-delà duquel cette extraction deviendra plus difficile et plus coûteuse. Avec pour conséquence une augmentation corollaire des engrais. À ces difficultés, s’ajoute une répartition très inégale sur la planète des roches phosphatées, le Maroc en trustant l’essentiel, ce qui fait en même temps de ce fertilisant un enjeu géopolitique.
Ces perspectives de raréfaction et de tensions invitent d’ores et déjà à regarder le rôle que pourraient jouer les stocks accumulés dans les sols. Dans les régions d’Europe de l’Ouest, où il existe des surplus nés dans les années 1970-1980 principalement en zone d’élevage, ils pourront contribuer aux prélèvements futurs des cultures, tout en poursuivant la décroissance des apports observée en moyenne. Mais comme le souligne Thomas Nesme, professeur à Bordeaux Sciences Agro, des innovations seront aussi requises pour mieux les mobiliser, notamment via l’ingénierie écologique et microbienne. On pense en particulier aux champignons mycorhiziens vivant en symbiose avec les racines, aux micro-organismes comme les Pseudomonas, et aux cultures associées capables par leurs systèmes racinaires de remonter du phosphore hors d’atteinte vers l’horizon supérieur.
Un autre levier consiste à explorer les voies du recyclage. Si celui des effluents d’élevage apparaît comme particulièrement puissant, il se heurte à la spécialisation de plus en plus poussée des systèmes d’exploitation (grandes cultures et élevage) et impliquerait une déségrégation qui n’est pas pour demain. C’est pour cela que, dans l’immédiat, la recherche se focalise plutôt sur le recyclage des effluents urbains, avec des engrais dits de deuxième génération obtenus en extrayant le phosphore de l’urine humaine par des procédés industriels. L’un d’entre eux, la struvite, est comparable à un engrais minéral et prometteur. Mais elle est, pour l’instant, trois fois plus chère et le cadre réglementaire est à revoir si on veut favoriser sa commercialisation.
(1) Webinaire disponible sur YouTube. https://www.youtube.com/watch?v=9jCfdCz3kds