Experts dans l’art de la métaphore poétique, les Chinois ont baptisé « train du bonheur » l’un des symboles logistiques d’une forme nouvelle d’impérialisme économique. Alors que l’actualité hexagonale se focalise sur les questions franco-françaises, le monde, lui, ne s’arrête pas de tourner et son centre de gravité se consolide plus vers l’empire du Milieu que vers chez nous. Ainsi, après avoir enquêté sur les investisseurs chinois dans l’agriculture et l’agroalimentaire (lire notre édition du 28 septembre 2018), La France agricole a-t-elle voulu démêler cette semaine les fils des « nouvelles routes de la soie ». C’était aussi le thème du forum organisé le 10 janvier à Paris par l’Iris.
Vous l’aurez compris, ce n’est plus de soie dont il s’agit, mais d’un véritable puzzle diplomatico-économique s’appuyant sur des schémas logistiques qui pèsent déjà et pèseront encore plus à l’avenir. Que ce soit par la voie du rail ou par la voie maritime, via en particulier le carrefour indonésien, les Chinois dessinent une vaste carte d’échanges. Ceux-ci peuvent concerner un grand nombre de pays (soixante-dix aujourd’hui, soit 60 % de la population mondiale), à partir des territoires intérieurs de la « grosse poule » (NDLR : forme de la Chine vue du ciel). Le tout en détenant une bonne part de la dette des États impliqués !
Depuis que Xi Jinping, le nouvel « empereur communiste » a décrété en 2013 cette stratégie prioritaire, les choses ont bien avancé, comme en témoignent les quelque 11 000 km parcourus en quatorze jours par les convois cargos de la Chine-Europe Express trains. Fonctionnant dans les deux sens, cette artère commerciale correspond à une ouverture graduelle de secteurs vitaux pour la Chine, dont l’agriculture et l’agroalimentaire font partie. Située en bout de ligne, la France ne peut se contenter de regarder passer ou de compter les trains, l’Allemagne étant, par exemple, déjà plus directement raccordée à ce réseau. D’autant que la guerre commerciale entre les États-Unis et la Chine tend à renforcer l’axe transeurasien.
Dans la mesure où le train s’avère plus rapide, mais aussi plus coûteux que le bateau, la vocation sera en priorité d’injecter des produits à bonne valeur ajoutée. Face à la montée de la classe moyenne, les dirigeants chinois ouvrent surtout les portes aux sources de protéines : produits laitiers, viande bovine et porcine… Mais pas seulement.
L’avenir dira si la dynamique de ce projet pharaonique gardera du souffle ou subira les soubresauts de la croissance. Dans quelques jours, le nouvel an chinois sera, lui, placé sous le signe du « Cochon de terre », qui ouvrirait selon les traditions « une période de prospérité et de chance ». Quant à l’ambassadeur de Chine en France, il a énoncé, lors du forum Iris, cette litote à méditer : « La fermeture sur soi mène à l’arriération. »