L’histoire
Si la forclusion du congé fait perdre au preneur son droit au renouvellement du bail en raison d’un délai pour agir non respecté, des circonstances permettent parfois de l’éviter. Trois frères, propriétaires indivis de parcelles agricoles, consacrées à la production céréalière en Touraine, les avaient données à bail à Hugues. L’un des indivisaires était décédé en 2002, mais l’évènement n’avait pas eu d’incidence sur le bail. Le 16 avril 2014, les bailleurs avaient donné congé au fermier pour le 31 octobre 2015 aux fins de reprise au profit de Pierre, leur fils et neveu. Entre-temps, le 12 décembre 2014, le partage de l’indivision était intervenu, attribuant les parcelles à l’oncle de Pierre.
Le contentieux
Le 23 octobre 2015, Hugues avait saisi le tribunal paritaire afin d’obtenir l’annulation du congé. N’était-il pas dans son droit ? Certes, selon l’article L. 411-54 du code rural, le congé peut être contesté par le preneur devant le tribunal paritaire dans le délai de quatre mois à compter de sa réception, à peine de forclusion, c’est-à-dire sous peine de voir son droit déchu s’il n’agit pas dans les délais. Mais la jurisprudence admet que le preneur peut demander au juge de le relever de la forclusion s’il invoque un fait non connu de lui dans les quatre mois du congé, révélant une fraude ou l’impossibilité de la reprise. De plus, cette dernière ne peut s’exercer qu’au profit du bailleur en personne ou d’un descendant majeur ou mineur émancipé.
Aussi, Hugues avait démontré que les conditions de la reprise, qu’il convenait d’apprécier au jour de l’échéance du bail, soit le 31 octobre 2015, n’étaient pas remplies. En effet, à cette date, le partage, dont il n’avait eu connaissance que plusieurs mois après la signification du congé, avait attribué les parcelles à l’oncle de Pierre. Or, la reprise au profit du neveu d’un des propriétaires indivis, devenu seul bailleur, était impossible.
Les deux frères n’avaient pas sérieusement contesté les conditions de la reprise eu égard à l’article L. 411-58 du code rural, mais s’étaient prévalu de la forclusion car Hugues n’avait pas contesté le congé dans le délai de quatre mois. Les juges leur avaient donné raison. Le fermier ne pouvait contester la régularité de la reprise, puisque Pierre avait conservé durant le délai de contestation du congé la qualité de descendant de l’un des propriétaires indivis. Et Hugues n’avait pas agi en temps utile lorsqu’il avait eu connaissance du partage.
Mais saisie par l’agriculteur, la Cour de cassation a censuré cette analyse. Les conditions de la reprise s’apprécient à la date d’effet du congé et le preneur peut, sans limitation de délai, invoquer un fait inconnu de lui dans les quatre mois de la délivrance de ce congé.
L’épilogue
La cour de renvoi ne pourra qu’écarter la forclusion et constater qu’à la date d’effet du congé, les conditions de la reprise n’étaient pas remplies, car à la suite du partage, Pierre avait perdu la qualité de descendant direct du bailleur. Hugues pourra « sauver son bail » et en obtenir le renouvellement, au prix d’un artifice juridique rarement mis en œuvre.