Au départ, Philippe Tauzia ne pensait pas devenir agriculteur. Mais en 1986, il revient au sein de l’exploitation familiale à Souprosse, dans les Landes pour soutenir son frère Jean-Claude : « À l’époque, la ferme comptait une quinzaine de prim’holsteins et quelques allaitantes. Jean-Claude transformait la stabulation pour développer l’activité laitière, mais il était double actif. Pour gérer les astreintes de l’élevage, nous avons pensé qu’il valait mieux être deux. L’idée me plaisait. »
Micromécanicien de formation, Philippe passe un BTA (brevet de technicien agricole), puis s’installe en Gaec en 1993. Les associés développent la production : augmentation du quota, agrandissement de la salle de traite en 1995, construction d’un bâtiment pour couvrir la stabulation et le box des génisses en 1999, mise aux normes environnementales en 2006-2007, édification d’un second bâtiment en 2011 destiné à stocker le foin et accueillir les vaches taries, puis installation d’un robot de traite en 2014. La structure, qui livrait moins de 160 000 litres par an au début des années quatre-vingt-dix, atteint une production de 510 000 litres en 2014, puis 620 000 litres avec le robot.
Produire pluset tenir bon
Alors que la fin des quotas laitiers se concrétise, les deux frères mettent en place un robot de traite conçu, au maximum, pour 70 vaches en lactation. Le cheptel s’agrandit progressivement de 60 à 75 mères. Le robot, subventionné à hauteur de 25 000 €, leur coûte environ 125 000 €. À cela s’ajoutent des frais : agrandissement du bâtiment, changement du tank à lait, achat d’un groupe électrogène... L’investissement total nécessite un emprunt sur dix ans de 134 000 €. Les deux frères piochent également dans leur trésorerie pour autofinancer un racleur d’occasion.
Malheureusement, le prix du lait chute : de 364 €/1 000 l en 2014, à 310 € en 2015, puis 280 € en 2016. La production n’arrive pas à compenser ces baisses. Depuis 2014, les deux associés ont calculé un manque à gagner moyen de 30 000 € par an avec des charges alourdies par l’investissement. « En 2014, nous vivions correctement et nous avions de la trésorerie. Deux ans plus tard, nous étions dans le rouge avec un résultat d’exploitation largement négatif. Nous perdions espoir, témoigne Philippe. Sans les crédits à rembourser, nous aurions sans doute arrêté. Nous avons tenu bon et beaucoup bricolé nous-mêmes pour limiter les frais. Heureusement, nos épouses travaillaient à l’extérieur, ce qui permettait d’alimenter le budget de la famille. » En 2019, avec un prix moyen à 346 €/1 000 l, la situation se redresse un peu. Les comptes redeviennent positifs. Mais les exploitants ne sortent toujours que 23 000 € de rémunération pour deux.
Assurer la relève
À 62 ans, Jean-Claude vient de prendre sa retraite. Le Gaec est devenu une EARL. Philippe, bientôt 55 ans, s’interroge sur l’avenir de la ferme. Les enfants sont partis vers d’autres horizons professionnels et l’élevage reste sans repreneur. Échaudé par les années difficiles, l’éleveur ne souhaite pas embaucher et envisage de diminuer la production, « pour laisser filer tranquillement jusqu’à la retraite », dit-il.
Puis il se ravise. Il aime toujours son métier et pense que l’entreprise mérite mieux que l’abandon : « Mon frère et moi avons développé l’exploitation, mis en place un bel outil de production et une structure fonctionnelle et confortable pour nous comme pour les animaux. Hormis le robot, nous sommes restés traditionnels dans notre façon de travailler : par exemple, saillie naturelle avec le taureau qui reste en permanence dans la stabulation. »
L’outil ne demande qu’à être amélioré par des jeunes : « Nous avons trimé pour faire du rendement. Mais malgré une production annuelle de quelque 600 t, on vit mal… Quel dommage de brader ce lait avec lequel, pourtant, on sait faire de bonnes choses. En s’orientant vers de la vente directe avec des jeunes motivés pour créer un atelier de transformation, notre métier redeviendrait valorisant », lance Philippe, désormais à la recherche d’un repreneur hors cadre familial.
Hélène Quenin