Il est difficile d’imaginer qu’un ail peut avoir un goût sucré, des notes de réglisse ainsi qu’une couleur noir ébène. Pourtant, Fanny et Stéphane Boutarin ont réussi le défi d’en fabriquer à partir de leur ail blanc certifié IGP (indication géographique protégée) de la Drôme. « L’idée est partie d’une envie commune de valoriser notre production d’ail drômois et de mieux la faire connaître », explique l’agriculteur.

Installé depuis 2001 à Crest (Drôme), à la suite de son père, il exploite 72 ha dont 13 ha d’ail de consommation en ail blanc et violet. Sa production annuelle avoisine les 100 t. Elle est vendue dans son intégralité auprès du groupement d’intérêt économique (GIE) Ail drômois, principalement en catégorie I. « Les petits et gros calibres sont plus difficilement commercialisables, ou à des prix peu rémunérateurs. » Il cherche pendant plusieurs années des solutions pour améliorer ces écarts, jusqu’au jour où, avec Fanny, sa femme, ils découvrent l’ail noir au Garlic Festival (Festival de l’ail) sur l’île de Wight, au Royaume-Uni. « C’est là que nous avons goûté pour la première fois à l’ail noir. Une révélation ! », indique la productrice. Un mois après, elle démissionne de son poste de directrice du service innovation et industrie de la chambre de commerce et d’industrie (CCI) de la Drôme, pour se lancer dans l’élaboration de ce produit.

Process idéal

Pour s’initier à la technique, elle intègre fin 2017, l’incubateur de l’Isara (1) de Lyon. « Cela m’a permis de réaliser toutes les analyses physico-chimiques et mettre au point le process idéal. J’ai aussi été soutenue par les chefs étoilés de la région Rhône-Alpes », indique-t-elle. Après de multiples essais, elle trouve enfin la recette idéale et la variété d’ail la plus appropriée : l’ail IGP de la Drôme, qui confit très bien grâce au sucre naturellement présent dans ses gousses. Elle monte en parallèle une société par actions simplifiées (SAS), sous le nom de « Ail Shake », pour la fabrication et la commercialisation de son ail noir. Au mois de juin, l’ail blanc planté en novembre par Stéphane est récolté. Il est ensuite séché pendant vingt jours minimum pour assurer une bonne conservation. Puis, il est blanchi, c’est-à-dire débarrassé de ses racines et de sa première peau. Il est alors prêt pour la vente en ail sec auprès du groupement d’intérêt économique (GIE) l’Ail drômois auquel le producteur a souscrit un contrat d’apport total.

Fanny achète l’ail de son mari auprès du GIE. Elle l’envoie ensuite en Angleterre pour la fabrication de son ail noir, selon son propre process basé sur une cuisson basse température de trente jours et un affinage de près d’un mois. Cette transformation lui procure une pelure sèche et blanche, des gousses couleur charbon brillant, une texture fondante et un goût subtil et délicat. « Cette méthode nécessite des machines très complexes et spécifiques. » Elle vient de s’en procurer deux pour un montant de 160 000 €.

« Elles vont arriver du Japon dans quelques semaines », se réjouit Fanny. Une salle de cuisson et de transformation va être aménagée dans un bâtiment agricole. Après les grands chefs restaurateurs et depuis l’année dernière, elle a développé une gamme pour les épiceries fines. Le succès est au rendez-vous. Son ail noir, vendu sous la marque « Maison Boutarin », rafle de nombreuses récompenses et prix d’innovation. Elle travaille également avec d’autres artisans locaux en co-branding (2) pour dynamiser sa gamme. Celle-ci se compose désormais de confitures d’abricots et de truffes au chocolat à l’ail noir.

De nouveaux projets

Fanny envisage pour 2020 de doubler sa production, soit de transformer près de 3 t d’ail blanc. Et les projets ne manquent pas : celui de transformer l’ail de petits calibres, ou encore de développer l’ail éléphant, variété d’ail poireau, produit en petite quantité sur l’exploitation. « Celui-ci a la particularité de donner une hampe florale surmontée d’un bouton de fleur. Elle est coupée en mai afin de permettre au bulbe de grossir. La tige sectionnée, appelée « fleur d’ail », est commercialisée au mois de mai. Fort appréciée par les chefs pour égayer les assiettes de printemps, elle se cuisine un peu comme une asperge », indique Fanny. Camille Penet

(1) Institut supérieur d’agriculture Rhône-Alpes.

(2) Alliance de deux sociétés sur un produit ou un service.