Passé le gigantisme du plateau de Saclay, dans l’Essonne, et son urbanisation galopante, on pénètre dans la fragile zone de protection des espaces naturels, agricoles et forestiers (ZPENAF). 1 200 ha de terres agricoles « sanctuarisées » par la loi de 2010 relative au Grand Paris. Une poignée d’agriculteurs tentent de résister et se partagent ce qu’il reste de cette plaine fertile qui a accompagné le développement de la capitale.

Entre Histoire agricole et réalité en béton

Le couple Vandame y a repris la ferme du père d’Emmanuel en 1997. Ce dernier a suivi le cursus classique du fils de paysan : bac puis BTS agricole, avant de travailler un temps pour la grande distribution. Cristiana, docteur en anthropologie, en était plus éloignée. Après plusieurs années d’activité auprès des Nations unies et d’ONG, elle a « épousé l’homme et son métier », le village de Villiers-le-Bâcle et sa vie rythmée par les campagnes céréalières.

Le grand-père d’Emmanuel s’y était installé en 1920. Ce sont 45 salariés qui œuvraient dans cette ferme de polyculture-élevage de 300 ha, une taille imposante pour l’époque, située en plein cœur du village. Lorsque son fils reprend l’exploitation en 1974, il arrête l’élevage et continue avec 14 employés qui partiront au fil du temps.

De ces années prospères, ont survécu d’immenses bâtiments, en cour carré, peu adaptés aux besoins agricoles contemporains, appartenant aux cinq frères et sœurs d’Emmanuel. « Jusqu’au milieu des années 2000, on s’est peu posé de questions. Les prix ainsi que les primes permettaient de tenir la barre », admet l’agriculteur.

Un jour de 2002, Cristiana, qui avait depuis longtemps une sensibilité pour le bio, vient avec l’idée saugrenue de monter une Amap avec des voisins. « J’étais très perplexe. Nous étions une ferme céréalière qui n’avait pas vocation à faire des légumes. Puis, j’ai fini par accepter pour une première campagne de pommes de terre, persuadé que cela ne fonctionnerait pas », reconnaît son mari. Seize ans après, chaque automne, les Amapiens des Jardins de Cérès viennent récolter leurs pommes de terre.

Un pied dans chaque système

Le projet de conversion de l’ensemble de la ferme à l’agriculture biologique débute réellement en 2009. D’abord avec 20 ha, puis 50 ha deux ans plus tard. En 2012, le couple ambitionne de convertir les 145 ha restants, puis rétropédale par peur du crash. « Nous avions trop de choses à gérer entre le lancement du fournil et les nouvelles techniques adoptées pour l’agriculture biologique », se souvient Cristiana.

Ils créent alors une nouvelle structure pour travailler les terres, qui resteront en conventionnel jusqu’en 2016. Emmanuel se souvient d’une période de déséquilibre. Avec un pied dans chaque système, « on est nulle part », et la paperasse qui en découle s’avère absconse. « La conjoncture actuelle en C2 (1) où, malgré de bonnes récoltes, la production part au prix conventionnel, me conforte dans l’idée qu’on a fait une bêtise en n’osant pas y aller, juge Emmanuel avec le recul. Pour les cultures annuelles, la durée de la conversion devrait être ramenée de trois à deux ans. D’autant que l’aval ne joue pas le jeu. »

La période de transition fut économiquement fragile. L’année 2016 fut très difficile avec des rendements divisés par deux, du fait des conditions pluvieuses de juin, sans filets assurantiels. « Le fournil porte clairement le reste de la ferme et nous permet de passer les années climatiquement difficiles », constate le céréalier bio.

Emmanuel et Cristiana possèdent aujourd’hui une ferme qui tourne en rythme de croisière. Même si la durabilité de leur système les interroge toujours, notamment au regard des charges de mécanisation et de la dépendance au gazole. Ils restent convaincus qu’il est primordial de défendre ce qu’il reste d’agriculture entre la terre et les cités.Pauline Bourdois

(1) Les cultures annuelles sont considérées en conversion pendant deux ans, la première campagne étant estimée comme conventionnelle. Pour une conversion au 15 mai 2019, les terres seront en C1 en 2019, en C2 en 2020 et 2021, AB en 2022.