En 1996, lorsqu’Alain de Scorraille a repris la ferme de son oncle, et une partie de celle de son père, à Blanquefort, dans le Gers, pour s’installer sur 120 hectares, il a immédiatement opéré un important virage technique. Entraînés par la vague du machinisme agricole et l’arrivée de l’irrigation, ses deux prédécesseurs avaient coupé les haies et bouché les fossés de la propriété pour transformer un patchwork de petites parcelles en immenses champs plus fonctionnels. « J’ai commencé par arrêter de labourer, raconte-t-il. J’étais très préoccupé par la vie de mon sol et de ses vers de terre, que je compte et que je pèse aujourd’hui régulièrement. Je parviens à en dénombrer 330 au mètre carré. Ils sont indispensables, car ils aèrent la terre et y réveillent les bactéries. »
En complément de ses cultures de blé tendre, blé dur, orge, tournesol, soja et maïs, auxquelles il applique de savantes rotations, le céréalier a vite adopté la pratique des couverts végétaux productifs. Il sème de la féverole pour ses racines pivots, qui aident à structurer le sol en profondeur, et pour son apport d’azote. Il la mélange à la phacélie, qui ameublit le premier centimètre. Cette culture lui permet de lutter contre l’érosion en coteaux, d’éliminer les graminées, d’accroître la biodiversité et la fertilité, surtout sur les sols pauvres, et de protéger la terre du soleil en la gardant au frais. La féverole fleurit, par ailleurs, au bon moment pour attirer les coccinelles, qui dévoreront, quelques jours plus tard, les pucerons envahissant le blé. « Je suis dans un système productiviste de grandes cultures conventionnelles, mais j’emploie moins d’engrais et de produits phyto, explique Alain. J’utilise la force du sol. Grâce aux rotations et aux couverts, j’ai enregistré, ces trois dernières années, les meilleurs rendements jamais réalisés sur mon exploitation pour les cultures d’été, même sur des parcelles non labourées depuis dix ans. »
Compter sur l’azote du sol
Il y a trois ans, Alain a remplacé le blé tendre par du blé améliorant, très recherché par les industriels espagnols. Son prix de base est plus élevé. De plus, il fait l’objet d’une surprime qui couvre une dépense plus importante en azote. En 2017, année affectée par le gel, il a testé deux variétés, puis une troisième en 2018, où les inondations ont fait des ravages. « Pour 2019, j’ai gardé la variété la plus rustique, Izalco. Ce n’est pas la plus productive, mais c’est celle qui a le mieux résisté au gel et à l’eau », indique-t-il.
Avant chaque semis, l’agriculteur effectue des prélèvements de sol pour connaître le reliquat d’azote. Il les congèle afin d’arrêter toute activité, et les envoie à un laboratoire. Cela lui permet de décider sur quelles parcelles, les plus chargées en azote, il sèmera son blé améliorant. « Chaque année, j’accumule les références pour établir un suivi de mon parcellaire, précise le céréalier. Cela m’a permis de constater qu’après un soja, très peu d’azote restait disponible au champ, contrairement à certaines idées reçues. En revanche, le couvert de féverole apporte au blé améliorant 0,5 % de protéines supplémentaires et un poids spécifique plus stable. »
Un homme qui calcule
Alain calcule également, plusieurs fois par an, ses charges variables et de structure, afin de définir le coût de revient et le seuil de rentabilité de chacune de ses cultures. Une technique qui lui permet d’anticiper. « Comme je connais mes rendements moyens et la tendance des cours, je sais le risque que je prends en choisissant de semer ou non une céréale, détaille-t-il. Le blé dur, par exemple, m’a toujours permis de gagner de l’argent, même les années de gel ou de forte pluie. C’est pourquoi, même si le prix a baissé, je le garde dans mon assolement. Grâce à mes calculs, je sais aussi si je dois faire des économies sur les investissements ou le gros entretien, pour améliorer mon revenu. »
Et l’exploitant de conclure : « Lorsque je me suis installé, il n’était pas question que je travaille pour rien. Mon père faisait une course au rendement, quel qu’ait été le prix de vente du grain. Pour moi, le meilleur rendement n’est pas forcément le plus haut, mais celui qui rémunère le mieux, et qui permet de vivre. »
Florence Jacquemoud