Patrick Jouy est arrivé dans le Lot-et-Garonne en 1986, avec sa famille. « À l’époque, j’étais ouvrier agricole en Seine-et-Marne, explique ce fils de céréalier de l’Yonne. Je voulais m’installer, mais tout était trop cher dans ma région. J’ai fini par trouver ici une petite exploitation à la hauteur de mes moyens : 4 hectares cultivables. Les anciens propriétaires produisaient des fraises et des haricots verts. » Patrick démarre avec 3 hectares de légumes de plein champ et 1 hectare de fraises sous tunnel nantais. Chaque année, il supprime la culture qui rapporte le moins.

Dix ans plus tard, il ne cultive plus que de la fraise et entreprend de gagner en performance. Il la développe sous abris froids, puis chauffés, et allonge sa période de production. « J’ai toujours cherché à réduire la pénibilité du travail et à optimiser le recours à la main-d’œuvre, car celle-ci est difficile à trouver, explique-t-il. Dans les années quatre-vingt-dix, j’ai voulu développer la culture sous des grands tunnels en plastique, pour gagner en précocité. Je me suis heurté à l’absence de matériel adapté pour rentrer dans les serres. Il fallait tout faire à la main. On revenait quinze ans en arrière dans l’organisation des tâches ! Alors, nous avons testé de nouveaux prototypes : des serres plus hautes et à pied droit, afin d’y pénétrer en tracteur. »

Carence de saisonniers

À la fin des années quatre-vingt-dix, Patrick rencontre beaucoup de difficultés. « Je ne trouvais plus de saisonniers, poursuit-il. Si j’ai continué, c’est grâce à un arrêté préfectoral nous autorisant, fin 2001, à embaucher des travailleurs polonais. » C’est pour résoudre ce problème de personnel que l’agriculteur s’initie à la culture hors sol. « Outre d’apporter les avantages qualitatifs et le gain de précocité, elle nous a affranchis des contraintes de préparation du sol, explique Patrick. Et l’évolution vers les systèmes en jardins suspendus a beaucoup amélioré les conditions de travail. »

En 2010, l’ère de la production sur butte était bel et bien révolue. Le hors-sol a aussi permis de lancer une production de concombres et de courgettes en été, une fois la saison de la fraise terminée.

En 2013 et 2014, deux de ses enfants s’installent, accompagnés de leurs conjoints. Les rôles de chacun sont bien définis dans les cinq EARL constituées : sa fille, Marie-Clarisse, fait office de directrice des ressources humaines et gère les volumes de fraises pour la vente, son fils, François-Joseph, assure la maintenance de toutes les installations, sa belle-fille, Bogumila, met en œuvre le contrôle qualité et son gendre, Piotr, a pris en charge toute la logistique.

« Chaque EARL a ses clients, avec ses prix et ses volumes à honorer, précise Patrick. Tous les jours, ma fille jongle entre les prévisions de récolte et les besoins de chaque société. » Le suivi des cultures est sous la responsabilité d’un salarié chef de culture et des saisonniers avec leurs chefs d’équipe.

Au fil des années, l’exploitation s’est enrichie de surface supplémentaire, pour atteindre 8 hectares de serre et jusqu’à cent saisonniers équivalents temps plein en mars-avril. Grâce aux itinéraires techniques développés sous les serres en verre, abris chauffés et abris froids, la structure est capable de produire de la fraise de façon continue de fin février à mi-juillet. C’est un argument de poids pour la vente.

Vendre au bon prix

S’ils le pouvaient, les propriétaires s’agrandiraient encore pour répondre à la demande des clients. « Nos fruits se retrouvent en grande partie sur les étals des magasins Grand Frais, précise Patrick. La variété ciflorette est très appréciée. Nous commercialisons un quart de nos fraises en direct à la grande distribution, à 8 €/kg en moyenne, mais il nous arrive d’atteindre 11 €/kg. Cela compense les ventes aux coopératives, qui nous règlent à des prix inférieurs à 6 €/kg, soit en dessous de nos coûts de production. Nous sommes également dans la démarche label rouge. Nous avons des exigences de cueillette et de sélection drastiques pour fournir au client un produit de qualité constante. »

Ce tri sévère génère le déclassement d’une trentaine de tonnes de fruits par an, que la famille Jouy s’apprête à valoriser en jus de fraises. « Nous affinons notre procédé de fabrication, car nous avons peut-être un nouveau marché à développer », conclut le patriarche qui, à soixante-cinq ans, a fait valoir ses droits à la retraite.

Hélène Quenin