Vers vingt ans, Jean Foirien pensait reprendre l’exploitation familiale en Beauce, sa terre natale. Mais à la suite de son service civil au Pays basque, il fait le choix de rester dans les Pyrénées-Atlantiques. En 1980, Jean trouve une ferme à louer, avec ses 42 hectares de terres, dans la commune d’Ainharp. En pleine zone d’appellation Ossau Iraty, il monte un troupeau d’ovins lait. Après dix-huit ans de bail, la propriétaire annonce qu’elle souhaite vendre. Jean lui rachète la maison et 4 hectares de prairies, et négocie de rester en fermage sur les autres surfaces jusqu’à sa retraite, prévue en 2016.

Éviter l’endettement

À partir de 2014, sa fille Johanne, trente-cinq ans, se prépare à prendre la relève. Elle prévoit de s’associer en Gaec avec le salarié de son père, pour poursuivre l’élevage de brebis laitières « qui fonctionnait bien, avec une santé économique correcte », précise-t-elle.

Diplomée d’un BTS ACSE (1) en 2001, Johanne « roule sa bosse » avant de revenir sur la ferme. « Je n’avais pas envie de m’installer tout de suite, explique-t-elle. Mon père n’avait pas besoin de moi sur l’exploitation. Il avait un salarié et travaillait en étroite collaboration avec notre voisin, lui aussi éleveur ovin. Ils avaient mutualisé tout leur matériel, à l’exception des tracteurs. »

À l’approche de la retraite de Jean, en 2016, la propriétaire des terres réitère son désir de vendre les 38 hectares de terres restants, ainsi que la bergerie et 20 hectares de bois. La Safer estime le tout à 200 000 euros. Johanne, qui n’envisage pas d’acheter, contacte Lurzaindia, une société en commandite par action (SCA) implantée au Pays basque. Cette structure est spécialisée dans l’acquisition collective de terres agricoles et de bâtis, pour leur mise à disposition à des paysans via des baux à long terme. « Avant d’investir, des représentants de la SCA sont venus juger l’outil de travail, raconte-t-elle. L’exploitation remplissait tous les critères pour une transmission-reprise, et Lurzaindia en a fait l’acquisition. Dans notre cas, il n’y avait pas de problème de spéculation, mais les terres auraient pu intéresser des agriculteurs voisins, pour s’agrandir. Cela ne s’est pas produit. Notre candidature a été acceptée. Je me suis installée en 2016, en Gaec avec le salarié de mon père. »

Si Johanne n’a pas souhaité devenir propriétaire, c’est pour éviter l’endettement mais aussi par idéologie. « La terre ne m’appartient pas, poursuit-elle. Je la travaille et elle me fait vivre, mais elle reste un bien commun qui, après moi, profitera à d’autres… Peut-être à des hors-cadre familiaux, pour qui l’accès à la terre reste difficile ? »

L’agricultrice paye à la SCA un fermage de 5 000 euros par an. Elle a emprunté 90 000 euros pour racheter le cheptel, et la part de matériel de son père en commun avec le voisin. Elle s’est acheté une petite maison à coté de la ferme parentale, près de la bergerie.

Départ de l’associé

Son associé ayant quitté le Gaec en cours d’exercice 2017-2018, Johanne revoit sa stratégie pour continuer seule. Elle envisage de réduire son troupeau d’une quarantaine de brebis et pense travailler davantage en Cuma. L’agricultrice a décidé de se concentrer sur la production laitière, renonçant pour l’instant au projet de développer la vente directe d’agneau de lait. Elle abandonne la production de maïs population (variétés paysannes) et de méteil, ce qui l’oblige à augmenter les achats de concentrés. Grâce à l’aide de son voisin et de son père, Johanne a surmonté les difficultés et a réussi à maintenir sa rémunération.

L’éleveuse n’envisage pas d’investissement majeur avant cinq ans, mais a réalisé quelques réaménagements pour améliorer ses conditions de travail. La vieille botteleuse qui demandait trop de manutention a été remplacée par la presse à balles rondes de la Cuma locale. Johanne a également réorganisé l’allotement dans la bergerie, avec de nouvelles mangeoires pour optimiser la distribution alimentaire. Pour elle, l’important est de maintenir une bonne génétique de ses brebis manech, sans recours à l’insémination artificielle, axée sur les qualités maternelles et la rusticité, plus que sur la production laitière. « J’accepte que mes brebis aient de moins bons rendements laitiers que d’autres, en contrepartie d’un bon état sanitaire avec peu de frais vétérinaires », dit-elle. Avec courage, Johanne poursuit l’aventure.

Hélène Quenin

(1) Analyse et conduite de systèmes d’exploitation.