Située au nord de Lyon, l’exploitation de Pierre Baconnier compte 40 hectares d’étangs. L’une de ses parcelles en est bordée. « La pisciculture d’étangs est un choix stratégique de diversification, alors que le maïs, culture dominante, voit ses rendements diminuer depuis cinq ans : de 76 q/ha en moyenne contre 98 q/ha antérieurement », explique l’agriculteur,

L’exploitation des étangs est rythmée par les saisons, tout comme en cultures. « La moisson » s’effectue en fin d’année : les étangs sont vidés en novembre-décembre. Une semaine avant la pêche, l’ouvrage de vidange, appelé « thou » en Dombes, est ouvert pour évacuer l’eau. Le jour J, un grand filet à petite maille est déployé pour rabattre les poissons. Collègues et famille sont sollicités pour donner un coup de main. Les étangs sont empoissonnés à nouveau fin mars-début avril. Entre-temps, ils restent vides, ce qui évite de repartir avec des espèces indésirables. Celles-ci risqueraient de concurrencer plus tard le bon poisson et de compromettre sa croissance. Le poisson trop petit en fin d’année pour être vendu est stocké et nourri dans l’un des cinq bassins créés en 2013. Il est repêché quelques mois plus tard.

L’empoissonnage est l’objet d’un subtil dosage. Il faut respecter l’équilibre entre les carpes, les poissons blancs (rotengle, gardon) et les carnassiers (sandre, brochet). Il convient aussi de tenir compte des espèces de fond et de surface. « Pour un grand étang, explique Pierre, il faut compter, par hectare d’eau, 180 têtes de carpe (120-150 g), 25 kg d’aiguillons de blanc, 25 kg de gros blanc à poser (1), 0,5 tête de gros sandre à poser et 20 têtes de sandrette (200-250 g). »

« Assec » tous les cinq ans

Le volume de production visé est de 500 kg à l’hectare d’eau, avec environ 10 % de carnassiers (brochet, sandre). Ce sont eux qui sont le mieux payés. « Le cours du poisson est le même depuis trente ans, déplore l’agri-pisciculteur. Heureusement, nous avons l’avantage d’utiliser notre matériel d’exploitation. Cela nous permet d’entretenir les bassins et les étangs à moindre coût. » Le poisson est commercialisé auprès de collecteurs, qui revendent les gros carnassiers à des ateliers de transformation et les blancs ou les petits carnassiers à des sociétés de pêche. Longtemps boudée à cause de son goût de vase, la carpe, emblème de la Dombes, reprend aujourd’hui des couleurs. Préparée sous forme de filets (fumés ou non), de « gougeonnette » (filet tranché en lamelles), de rillettes et autres produits dérivés, elle est très appréciée.

En termes de revenu et de travail, la pisciculture d’étang constitue un bon complément aux grandes cultures. Les périodes de pointe sont décalées. « L’été, nous faisons essentiellement de la surveillance, indique Pierre. Le remplissage des nourrisseurs automatiques, tous les dix à quinze jours, ne prend que quelques minutes. Nous les alimentons aux périodes où les poissons en ont vraiment besoin. Il y a des ratios et des quantités à respecter. La nourriture des poissons est élaborée par la coopérative, à partir de nos céréales. On récupère un aliment bien dosé, à 24 % de protéines pour les poissons dans les étangs, à 32 % pour les carpes en bassins. »

Pour autant, la pisciculture d’étangs n’est pas un long fleuve tranquille. Outre les aléas climatiques récurrents ces dernières années (sécheresse d’été ou d’hiver, canicule), il faut faire face aux prédations causées par les oiseaux. Au moment de la pêche ou de l’empoissonnage, les cormorans sont tous les jours vers les étangs. En dix jours, ils peuvent les vider. Rien ne les décourage, ni les cages à poisson, ni les canons effaroucheurs. En Dombes, les agriculteurs ont une autorisation pour les tirer, mais ils restent démunis face aux espèces protégées : les hérons, grèbes huppées ou aigrettes blanches.

Une fois tous les cinq ans, les étangs sont mis « assec ». C’est le seul moment où l’on voit vraiment la structure de l’étang, donc son état. L’agriculteur en profite pour curer la pêcherie qui s’envase et entreprendre des travaux de maçonnerie avec sa pelle. Une culture à durée de végétation courte, telle que l’avoine ou le maïs, est mise en place. Elle permet de couvrir partiellement les coûts d’entretien de l’étang. En 2018, un essai sera réalisé avec du sarrazin.

(1) Ces poissons reproducteurs pondront et assureront le repeuplement de l’étang l’année suivante.