Pierre Vallensant est de ceux qui osent entreprendre et innover malgré les difficultés. Après l’échec d’une association en Gaec avec un tiers, cinq ans après son installation, il reprend, en 2003, la ferme laitière de ses parents et celle de son oncle. Les deux structures sont vieillissantes : le parcellaire est très morcelé et le bâtiment est inadapté et mal situé. « Il a fallu faire un important travail de restructuration foncière pour rendre l’exploitation plus vivable », explique-t-il.

En douze ans, il arrive à doubler son quota laitier, pour atteindre 190 000 litres en 2015. Mais la conjoncture du lait et son impossibilité de créer un nouveau bâtiment, faute de pouvoir se délocaliser, le contraint à arrêter la production. Il se tourne alors vers l’élevage de génisses laitières prêtes à vêler. « Une façon de garder un pied dans la filière laitière, avec une production techniquement intéressante », précise l’agriculteur.

En parallèle, il consacre 1,5 ha de sa surface à la production de chanvre. « J’avais déjà songé à en implanter en 2006, pour l’utiliser dans la construction de ma maison comme matériau d’isolation. L’obtention de semences de chanvre étant très réglementée (1), ce projet n’a pas pu aboutir. Quand en 2013, j’ai appris que le syndicat mixte des Monts de la Madeleine souhaitait faire renaître cette culture dans le secteur, je me suis manifesté. Je ne regrette rien, se réjouit le producteur

De plus, le chanvre est une culture assez facile à conduire. Il se sème au mois de mai. Il ne requiert pas d’entretien ni de produits phytosanitaires. Il se comporte comme une plante étouffante et fait obstacle aux adventices. »

« Ecolo » et rentable

La récolte s’effectue fin septembre avec une moissonneuse batteuse classique. « Je lève la barre de coupe pour ne récolter que l’épi et éviter ainsi le bourrage de la machine. Je repasse ensuite dans la parcelle pour couper les tiges que je stocke à l’abri avant de les défibrer. »

Pierre utilise au mieux le potentiel de la plante. Les graines sont vendues pour la consommation humaine en sachet de 250 g ou transformées en farine ou en huile. Pour sa première année de production en 2015, près de 700 kg de graines ont été pressées, en prestation extérieure chez un voisin, pour une récolte de 120 litres d’huile. Embouteillée dans des flacons de 250 ml, l’huile est vendue 10 €. Tout est commercialisé en circuits courts dans différents magasins et sur des marchés de produits de terroir et de noël. « Dans la mesure où je vends en direct, cette culture se révèle avantageuse économiquement. De plus, c’est un produit qui plaît, je n’ai jamais de stock d’une année sur l’autre », se réjouit-il.

Cette année, Pierre a également valorisé les tiges. Les récoltes 2015 et 2016, soit près de 500 tonnes, ont été défibrées : « J’ai loué un outil spécifique auprès de mes voisins auvergnats qui permet de séparer la chènevotte de la laine. » La chènevotte est vendue 0,70 €/kg pour du paillage horticole ou de l’enduit. La laine, à 1,20 €/kg, est utilisée en vrac pour l’isolation des combles et des murs.

« Si j’avais vendu la paille chez un industriel spécialisé dans le défibrage du chanvre, elle m’aurait été payée 130 €/t, soit 4 000 € au total, auxquels j’aurai dû enlever les frais de transport. Avec la vente directe, je la valorise six fois mieux. Même si cela demande beaucoup de travail, ce n’est pas négligeable », avoue-t-il.

Face à l’engouement pour les graines nutritives, le producteur envisage d’augmenter ses surfaces de chanvre à 3 ha en 2018, et d’implanter également de l’épeautre et du sarrasin. Des investissements seront ainsi nécessaires pour améliorer les conditions de séchage ainsi que de tri des différentes graines.

De nouveaux projets

Pierre se lance également dans la conversion de l’ensemble de ses terres en agriculture biologique. « Le chanvre est une plante facile, déjà conduite en bio. C’est ce qui m’a fait franchir le pas. » Il espère aussi pouvoir remplacer progressivement la production de génisses prêtes à vêler, dont les cours sont au plus bas depuis deux ans, par un petit atelier de vaches allaitantes, « avec pour objectif de finir tous les animaux. »

(1) Le chanvre est le nom commun du cannabis. Seules les variétés ayant un taux de THC inférieur à 0,2 % sont autorisées en France où il n’existe qu’un seul distributeur de semences.