En janvier 2018, la crue de la Seine, qui intervient moins de deux ans après un premier débordement qualifié « de catastrophe naturelle », étonne le public et les médias. Les caprices du fleuve sont pourtant atténués par l’existence de lacs réservoirs en amont du Bassin parisien. Dans l’histoire, la crue de 1910 (8,70 m à la hauteur du pont d’Austerlitz) est restée dans les mémoires. Or, antérieurement, le lit de la Seine a connu, cinq à six fois par siècle au moins, pareils événements aux abords de la capitale. Certains, bien oubliés, eurent une ampleur nationale comme en 1481, à la suite d’un grand hiver qui avait pris dans les glaces « tous les cours d’eau, les plus grands comme les plus petits, les plus rapides comme les plus lents », comme la Seine, la Loire, la Garonne, le Rhône, la Saône et l’Isère. Le dégel provoqua des inondations terribles, emportant des centaines de moulins installés dans les vallées.
La confluence de l’Yerres et de la Seine, à Villeneuve-Saint-Georges, vient de fournir ces derniers jours des images spectaculaires. Or en 1649 comme en 1651, le même secteur subit des inondations exceptionnelles pour lesquelles nous disposons d’un témoignage circonstancié. Le père Jean de Thoulouse, chanoine de Saint-Victor, était alors curé de la paroisse d’Athis-sur-Orge, aujourd’hui Athis-Mons. De la maison du prieuré qui surplombe la Seine, et du coteau alors couvert de vigne, la vue était imprenable sur le Val de Seine. Du 9 au 15 janvier 1649, le prieur-curé constate une « inondation extraordinaire des rivières de Marne et de Seine ». Le maximum est atteint le 14 : « À la campagne, c’était chose prodigieuse à voir le débordement des eaux effroyables. Je voyais de mes fenêtres l’eau qui inondait tout Villeneuve-Saint-Georges en bas, et les maisons jusques au pied du village de Montgeron, et de là, venait gagner jusque Vigneux, et à un piquet près des derniers jardins de Draveil, et de là, Ris, Grigny, Viry, Savigny et Juvisy pleins d’eau jusques en montant aux vignes. » Cette année-là, la levée de la Loire cède près de Varennes et le Val d’Anjou est submergé par les eaux. Mais bien plus bas, en Périgord, l’Isle et la Dordogne font aussi de grands dégâts.
Deux ans plus tard, alors que le pays est toujours marqué par la Fronde, les éléments se remettent de la partie. En janvier 1651, la crue monte encore, atteignant 7,98 m dans la capitale, contre 7,81 en 1649. On circulait presque partout dans Paris en bateau. De son clocher d’Athis, le père de Thoulouse observe la montée de la Seine : « Je remarquai qu’en notre campagne, dans les villages comme Ablon et Juvisy, elle était plus haute de quatre pouces que deux ans auparavant, et me fut dit pour raison que la rivière de Marne était plus enflée que la Seine, et la soutenait. Toute cette multitude d’eau venant à rencontrer les ponts et les bâtiments de Paris, c’est ce qui la rendait si enflée et élevée. » Encore une fois, la météorologie n’avait pas frappé que la Seine : la Loire elle aussi rompit sa levée en amont de Saumur.
En 2018, on n’en est plus comme en 1625, où l’on sortait les châsses de saint Marcel et de sainte Geneviève pour arrêter la pluie. Mais la mémoire du passé pourrait inspirer bien des aménagements.