Lorsqu’il s’est installé avec son frère, en 1997, Gonzague Proot ne s’intéressait pas à l’élevage. Leurs 300 hectares de cultures industrielles, selon un assolement typique du Santerre (Somme), étaient conduits de façon « plutôt intensive », se rappelle-t-il. Les deux frères sont passés au non-labour, au traitement ultra-bas volume, au compostage… Puis Gonzague a voulu passer en bio. Pas son frère. Ils décident de couper l’exploitation en deux. Sur la moitié qu’il récupère, dont il entame la conversion en 2010, Gonzague crée aussitôt un petit atelier bovin « pour profiter des synergies sol-animal-plantes ». Un choix incongru sur ce territoire déserté par l’élevage. Mais avec dix ans de recul, Gonzague en reste convaincu : « La clé de ma rotation culturale, ce sont mes trois ans de prairie. »
Avec Hélène, sa femme, il est allé dans le Cantal chercher vingt vaches Salers. Une race choisie « parce qu’elle est belle », sourit-il. La raison est valable, mieux vaut trouver du plaisir à côtoyer ses bêtes. Mais la Salers a aussi des atouts plus prosaïques : « Elle valorise bien l’herbe et vêle toute seule. » Sauf le premier vêlage, qui s’était mal présenté, obligeant le couple d’apprentis éleveurs à chercher un tuto sur Google pour sortir le veau… Avec succès.
Le juste équilibre
La création de l’atelier bovin a nécessité environ 80 000 € d’investissements : faucheuse, andaineur, clôtures électriques, parc de contention, abreuvement… Le pressage est fait par une entreprise, la bétaillère est empruntée en cas de besoin, et les animaux sont logés dans d’anciens bâtiments vides, solution « pas idéale » mais peu coûteuse.
Le cheptel s’est agrandi au fil des ans et s’approche de l’objectif de 35 mères. « Cent animaux en comptant la suite, cela nous permet d’atteindre le bon équilibre sur 140 ha, avec un tiers de surface fourragère pour le troupeau, un tiers de céréales vendues et un tiers de légumes, analyse l’éleveur. Ainsi notre élevage est 100 % autonome. » Les productions végétales et une partie des animaux sont vendues à une coopérative, l’autre partie en colis de viande.
Trois personnes travaillent à temps plein sur l’exploitation, sans parler des saisonniers, une douzaine pendant la période des désherbages. « Et je travaille encore trop », juge Gonzague, qui explique que la difficulté au quotidien est de prioriser : « On passe notre temps à arbitrer entre les interventions sur l’élevage ou sur les cultures. »
Accaparant la moitié du temps de travail, l’élevage apporte, en moyenne, moins de 10 % de la marge brute de l’exploitation. « Ce n’est pas, en soi, une activité rentable au sens du centre de gestion », avoue l’agriculteur. En 2018, par exemple, l’atelier a dégagé 547 € de marge brute par hectare de SFP, alors que les légumes bio peuvent dégager 15 000 €/ha ! « Mais il ne faut surtout pas considérer les deux ateliers séparément. Ce n’est pas de l’argent sonnant et trébuchant mais l’élevage apporte une cohérence économique à l’ensemble du système. La clé de la réussite, c’est la prairie qui garde le sol propre et le fertilise. Derrière, on n’a que 120 heures/ha de désherbage manuel, contre 500 à 600 h/ha sinon. Or la main-d’œuvre est un gros poste de charge. »
Autres bénéfices de l’élevage, plus difficiles à quantifier : il observe des sols « plus faciles à travailler et plus riches en matière organique ». La fertilisation permise par les prairies et le fumier est tout de même complétée par 80 à 90 t de fientes de volailles par an. « L’idéal serait de nous associer avec quelqu’un en volailles », imagine Gonzague.
En attendant qu’éclosent de nouveaux élevages dans le Santerre, son expérience intéresse. Depuis la parution d’un recueil édité par le réseau bio régional (lire ci-dessous) dans lequel il témoigne, sa ferme a reçu une dizaine d’appels d’agriculteurs et trois visites.
B. Lafeuille