Il arrive que des vaches ou des moutons reviennent fouler le sol d’une exploitation dont ils avaient disparu pendant des années. Pour installer un associé ou gérer des problèmes agronomiques, certains céréaliers recréent un atelier d’élevage. Souvent des ovins, qui ne nécessitent pas ou peu d’investissement en bâtiment. En plus de ramener de la matière organique via leurs effluents, ils peuvent valoriser des couverts d’interculture en pâturant tard en saison, là où des bovins tasseraient le sol.

Ce choix, Hugues Fischer, céréalier sur 180 ha en Haute-Marne, l’a fait. Après avoir fait pâturer ses couverts d’interculture par les brebis d’un éleveur, cet hiver, il a décidé de franchir le pas et de racheter 150 brebis. Le céréalier avait accueilli le troupeau sur 80 ha de couverts en mélange (féverole, radis, trèfle, phacélie…), de mi-octobre à mi-février. « À la base c’était pour rendre service à cet agriculteur qui manquait de fourrage », précise-t-il. Mais il s’estime aussi gagnant : « Je n’ai pas à détruire le couvert et les brebis ont apporté de la fumure. Et elles ont sans doute fait un peu fuir les mulots, qui nous posent un problème en semis direct. »

Pour lui, la création de la troupe ovine se fait avec le minimum d’investissement : « Les brebis, de race rustique, seront élevées en plein air intégral, et tout l’aliment sera autoconsommé. » Leurs effluents seront particulièrement précieux pour gérer la fertilisation, alors que l’exploitation entame sa conversion bio ce printemps.

Recréer du lien

Plus rarement, ce sont des bovins qui réapparaissent (lire ci-dessous). Mais le plus souvent, la décision de se spécialiser, résultant d’un choix personnel (peu d’attrait pour l’élevage) ou dictée par des contraintes (de main-d’œuvre notamment), ne souffre pas de retour en arrière. Alors pourquoi ne pas recréer de la polyculture-élevage à l’échelle d’un territoire ?

Besoin de souplesse

Retisser des liens entre éleveurs et céréaliers : c’était le thème d’un GIEE porté par les Jeunes agriculteurs du Puy-de-Dôme, en 2015.« Les éleveurs viennent chercher de la paille chez les céréaliers de la plaine, mais les échanges s’arrêtent là alors que leurs effluents pourraient intéresser les céréaliers, explique le syndicat. Et puis on voulait recréer du lien entre ces deux mondes, qu’une certaine défiance sépare. »Pour des raisons de « manque de temps et d’éloignement géographique », le projet a fait flop…

Dans les Hauts-de-France aussi, un projet s’est monté pour « développer les coopérations entre éleveurs et céréaliers spécialisés », explique Claire Ramette, de l’association Agro-Transfert. Mais il s’est étiolé. Même si « des choses intéressantes se font, comme des échanges paille-fumier ou de la mutualisation de main-d’œuvre », l’association n’a pas réussi à entraîner les exploitations des territoires pilotes vers plus de collaboration. Un autre projet, visant à accompagner un groupe de polyculteurs-éleveurs vers plus de coopération entre atelier animal et végétal au sein de leur ferme, connaît par contre un vrai succès (lire p. 46). « Il est plus facile de se mettre d’accord avec soi-même qu’avec un autre exploitant », sourit un éleveur du groupe. « Pour que les échanges entre exploitations fonctionnent, il faut de la souplesse, confirme Claire Ramette. Les besoins de l’éleveur en fourrage, par exemple, fluctuent selon la météo alors que le céréalier a besoin d’être sûr de son débouché. Et la contractualisation, qui peut apporter cette sécurité, fait parfois peur. »

Une boîte à outils

Alors que les échanges entre céréaliers et éleveurs ont plus souvent été abordés et documentés sous les angles techniques et économiques, les aspects humains et juridiques sont primordiaux. Le projet Casdar Cerel, mené par la chambre d’agriculture du Centre-Val de Loire et l’Institut de l’élevage de 2014 à 2017, se penchait sur ces aspects-là. Plusieurs types de coopération étaient en place ou en phase de construction dans les territoires du projet : « Du classique échange paille-fumier jusqu’au prêt de foncier, en passant par l’échange de matériel, le pâturage des intercultures et l’introduction de protéagineux destinés à un éleveur dans l’assolement d’un céréalier », énumère Anne Brunet, à la chambre d’agriculture.La majorité de ces échanges étaient informels et le sont restés. Mais pour aider à développer et pérenniser ces collaborations, et répondre au « souhait de certains agriculteurs de sécuriser leur relation », le projet a abouti à l’élaboration d’un guide (lire ci-dessous). « Il n’est pas obligatoire de passer des contrats, insiste la chargée de mission. Mais il y a un cadre juridique à connaître. Par exemple, le fait de céder la récolte de la même parcelle chaque année entraîne un risque juridique. Pour éviter la requalification du bail, des précautions peuvent être prises. D’autre part, au regard du droit de la concurrence, un organisme de conseil ne peut pas donner un prix, même indicatif, pour des échanges de fourrage ; en revanche on propose une méthode aux éleveurs et céréaliers pour se mettre d’accord sur un prix de cession. »

Toutefois un contrat, même rédigé dans les règles de l’art, ne solutionne pas tout. « Il peut être un aboutissement, mais il faut d’abord avoir bien identifié les souhaits et contraintes de chacun. Le facteur humain est primordial : confiance, bonne entente et flexibilité. » Dans le cadre du projet Cerel, le premier facteur de réussite, cité par les agriculteurs impliqués dans des échanges éleveurs-céréaliers, était la bonne entente. Suivi par la proximité. « Au-delà de 15 à 20 km, il est très difficile de mettre en place des échanges pérennes », observe Anne Brunet. Recréer la polyculture-élevage à l’échelle des territoires devient alors compliqué lorsque l’élevage a trop reculé…