«Agriculteur, tout le monde l’est à Mayotte. Mais ce n’est pas reconnu comme un « vrai » métier. Il faut professionnaliser notre secteur et améliorer la formation des jeunes », explique Elhad-Dine Harouna en souriant mais d’une voix déterminée.
C’est à 17 ans que le jeune Mahorais part étudier au lycée agricole de Valentées, dans le Gers. « Ça a été un choc ! Pendant trois mois, j’étais totalement bouleversé, sans repère : j’avais froid, je découvrais les champs de blé, de maïs, de tournesol… » Il s’accroche et obtient un bac pro spécialisé dans l’élevage bovin. « J’ai même été pointeur », dit-il avec fierté. Elhad-Dine poursuit sa scolarité en Guadeloupe pendant deux ans, puis rejoint son île natale, « avec l’idée qu’il y sera utile en étant agriculteur ».
Volailles de chair
En 2014, le jeune homme s’installe en volailles de plein air, sur une surface de 5 000 m2. « Faute de couvoir sur l’île, je faisais venir des poussins directement du Gers. Mayotte dispose d’une usine d’aliments. Pour l’abattage, nous utilisons l’atelier pédagogique du lycée agricole de Coconi, d’une capacité de 300 volailles par jour. » Les volailles fermières plaisent aux consommateurs et le projet se développe.
Un couvoir a été installé sur l’île début 2017 et l’association d’éleveurs qu’Elhad-Dine a créée va se transformer en coopérative : « Sept personnes y adhèrent pour produire 60 t de volailles de plein air par an. Nous avons aussi constitué une SAS chargée de la commercialisation et de l’abattage. » Un atelier d’abattage de deux millions d’euros est à l’étude. Il répondrait à 10 % des besoins de l’île. « Il y a tout à faire à Mayotte. Comme nous partons de rien, chaque avancée est importante. »
Créer des villages agricoles
Depuis 2014, Mayotte bénéficie de financements européens. Pourtant, aucune installation n’a été aidée. « Le principal obstacle est l’accès au foncier. Le département est propriétaire de 80 % des terres agricoles mais il ne les débloque pas », déplore le jeune homme. En tant que président du syndicat Jeunes Agriculteurs, Elhad-Dine multiplie les propositions : créer une Safer ou regrouper du foncier dans quatre zones de l’île afin de mutualiser les infrastructures. « À plusieurs dans ces villages agricoles, les jeunes pourraient se prémunir contre les tentatives de squat, le vandalisme ou les vols. » De quoi rassurer les banquiers.
Absence de retraite
Autre entrave : l’absence de retraites agricoles pour les Mahorais, puisque la MSA n’a été mise en place qu’au 1er janvier 2015. Un millier d’exploitations, couvrant environ 2 500 bénéficiaires, seraient affiliées. La condition de superficie de 2 ha minimum exclut de nombreuses petites fermes. « Pour permettre le renouvellement des générations, il faudrait que le travail des anciens soit pris en charge par la solidarité nationale. »
Par son exemple, Elhad-Dine veut convaincre les élus de l’intérêt de produire sur place des aliments, plutôt que de tout importer, et que « la lutte contre l’immigration clandestine ne doit pas être la seule politique de l’île ».