C’est peu dire qu’il est très attendu par les agriculteurs et les énergéticiens qui portent actuellement des projets agrivoltaïques. Le décret d’application de la loi d’accélération des énergies renouvelables doit être publié en décembre ou au plus tard en janvier prochain, selon différents acteurs présents à une conférence organisée par l’Institut national de l’énergie solaire ce 14 novembre 2023 à Bordeaux. Les discussions ministérielles qui ont été soumises à l’arbitrage de Matignon doivent prochainement trouver leurs conclusions.
« Le projet de décret ne devrait pas beaucoup bouger dans les semaines qui viennent », témoigne Paul Elfassi, avocat au sein du cabinet BCTG qui a participé aux discussions du projet de décret via le Syndicat des énergies renouvelables (Ser) dont son cabinet est membre. Ce texte doit venir préciser les critères pour déterminer si une installation peut être qualifiée d’agrivoltaïque. Il détaille notamment les éléments permettant d’apprécier les services que doivent rendre les panneaux à la production agricole (comme l’adaptation au changement climatique ou la protection contre les aléas). C’est cette notion de services qui est l’essence même de l’agrivoltaïsme dans l’esprit du législateur.
La nécessité d’une « production agricole significative »
En plus de cette condition, l’installation doit également garantir à un agriculteur dit « actif » une production agricole « significative » et un revenu « durable ». Pour apprécier cette production « significative », il est envisagé l’obligation d’une zone témoin, sans panneaux installés et cultivée dans les mêmes conditions que la parcelle sur laquelle est située l’installation agrivoltaïque. Elle devrait représenter au moins 5 % de la surface de cette dernière dans la limite d’un hectare.
Une dérogation pourrait être octroyée par le préfet après avoir recueilli l’avis de la commission départementale de préservation des espaces naturels, agricoles et forestiers (CDPenaf) en cas d’impossibilité technique ou si un référentiel local peut s’y substituer. Si cela doit encore être validé, « nous poussons pour qu’il n’y ait pas de zone témoin pour les activités d’élevage ou pour les petites installations », ajoute Paul Elfassi.
L’article premier du projet de décret ajoute que la production agricole est significative « lorsque la moyenne du rendement par hectare observé sur la parcelle agricole sur laquelle est située l’installation agrivoltaïque n’est pas inférieure de plus de 15 % à la moyenne du rendement par hectare observé sur la zone témoin ou le référentiel en faisant office ».
Mais cette perte de rendement autorisée par le texte pourrait aller plus loin dans certains cas. « Une diminution plus importante peut être admise si l’installation agrivoltaïque permet une amélioration significative et démontrable de la qualité d’une production agricole », ajoute l’article premier du projet de décret.
La production agricole doit rester principale
Concernant le critère de revenu, le texte précise que la moyenne des revenus de la vente des productions agricoles (végétales et animales) après l’implantation de l’installation agrivoltaïque ne doit pas être inférieure à la moyenne des revenus avant l’implantation de l’installation tout « en tenant compte de l’évolution de la situation économique » établie selon des modalités qui doivent encore être définies, après le décret, par la prise d’un arrêté. Le projet de décret prévoit la possibilité de demander au préfet une diminution plus importante en cas d’imprévisibilité.
L’article premier du projet de décret impose aussi que la production agricole reste l’activité principale de la parcelle. Trois critères cumulatifs sont établis pour le vérifier.
Le premier fixe un taux d’emprise au sol de l’installation agrivoltaïque. Il s’agit de la surface maximale projetée au sol des panneaux sur la parcelle dans des conditions normales d’utilisation. Interrogé sur l’appréciation de ce critère à l’égard de panneaux solaires semi-transparents, ce point n’est pas prévu par le décret, estime Paul Elfassi. « Si on applique le texte à la lettre, il faut prendre en compte la projection verticale du panneau », ajoute l’avocat. Concernant les trackers solaires, l’avocat considère que c’est la projection maximale des panneaux qui est à mesurer.
Vers un taux d’emprise de 40 %
En l’état du projet de décret, le taux d’emprise au sol devrait être fixé à 40 %. Un taux qui ne satisfait pas certains développeurs qui jugent que cela limite les projets et Jeunes Agriculteurs (JA) qui plaidait pour un taux plus faible, condition pour le syndicat de s’assurer que l’activité agricole reste l’activité principale par rapport à celle de la production d’énergie.
Le deuxième critère concerne la surface de la parcelle qui n’est plus exploitable du fait de l’installation agrivoltaïque. Celle-ci ne doit pas excéder 10 % de la superficie totale couverte par les panneaux. Les locaux techniques qui ne sont pas situés sur la parcelle ne sont pas pris en compte.
Le troisième critère cumulatif impose que l’installation agrivoltaïque ainsi que l’espacement entre les rangs de panneaux doivent permettre d’assurer la circulation, la sécurité et l’abri des animaux ainsi que le passage des engins agricoles.
Enfin, l’installation agrivoltaïque doit être réversible. L’autorisation d’installation donnée par l’Administration est fixée pour une durée limitée qui ne peut dépasser 40 ans et sous condition de démantèlement ou de remise en état s’il se trouve que l’installation n’est plus exploitée ou n’est plus compatible avec l’activité agricole.
Un contrôle sans contrôleurs
Pour vérifier tous ces critères législatifs et réglementaires, le projet de décret prévoit des contrôles. L’article 6 instaure un contrôle préalable des installations et de leurs zones témoins ainsi qu’un suivi durant la mise en service de l’installation. Après une mise en demeure, une sanction pécuniaire ou un retrait ou une suspension de l’autorisation d’exploiter pourrait être prononcé.
Le même article prévoit un autre contrôle au moment du démantèlement ou de la remise en état de l’installation. Le projet de décret prévoit qu’un relevé technique du terrain doit être transmis aussitôt à l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de l’énergie solaire. En cas de manquement, l’Administration pourrait faire appel à des garanties financières souscrites pour procéder d’office aux travaux.
Si le système de contrôle est fixé, les moyens humains pour le mettre en place ne semblent pas encore prévus. « Il manque des instructeurs. Le législateur ne l’a pas anticipé », estime Vincent Vignon, élu au Syndicat des énergies renouvelables.
Une date d’entrée en vigueur en débat
Outre le taux d’emprise au sol, un autre point du décret divise les énergéticiens et JA. Il concerne l’entrée en vigueur du décret. Si les premiers plaident pour une période transitoire, JA demande une application immédiate.
Un point qui ne semble pas encore tranché par le gouvernement, selon Paul Elfassi. « En l’état, il y a un débat. Deux possibilités sont envisagées : une application pour les projets déposés à compter de la publication du décret ou une application six mois après sa publication. » Une entrée en vigueur à compter du décret tiendrait la corde, selon l’avocat.