Les gros bras du machinisme agricole d’aujourd’hui seront-ils les leaders de celui de demain ? La question mérite d’être posée car l’expérience montre que l’apparition d’une technologie dite « de rupture » peut rapidement faire émerger de nouveaux chefs de file et reléguer les marques incontournables au rang de faire-valoir. L’exemple le plus flagrant est celui du smartphone, où Apple, Samsung et Xiaomi se taillent la part du lion alors qu’initialement ils étaient totalement absents du marché du téléphone portable.

 

Dans le secteur agricole, le parcours de Lely est un cas d’école. Ce spécialiste de la fenaison et du travail du sol, qui n’avait jamais construit une salle de traite, est devenu en vingt ans la référence du robot en élevage laitier.

 

Tous ces exemples peuvent donner des sueurs froides aux tractoristes, qui en quelques années ont vu débarquer de nouveaux acteurs, souvent issus du secteur de la robotique, mais capables de s’allier avec des agriculteurs et des agronomes pour développer des solutions adaptées aux exploitations.

 

John Deere vient de s’offrir Bear Flag Robotics, qui commercialise des kits permettant aux agriculteurs de robotiser leurs tracteurs. © Bear Flag Robotics
John Deere vient de s’offrir Bear Flag Robotics, qui commercialise des kits permettant aux agriculteurs de robotiser leurs tracteurs. © Bear Flag Robotics

Un marché qui explose

Axema, le syndicat des constructeurs de machines agricoles, estime à 14 000 le nombre de robots agricoles actuellement en service en France, dont plus de 11 200 sont des robots de traite. Les autres robots sont pour la plupart des repousse-fourrage, des aspirateurs de lisier ou encore des automates d’alimentation. Mais s’ils ont été plus lents au démarrage, les robots des champs pourraient se rattraper très rapidement.

 

Naïo Technologies, le leader français de la robotique, a déjà commercialisé plus d’une centaine d’unités d’Oz, sa solution de désherbage pour les maraîchers et les viticulteurs. Et la technique commence aussi à séduire en grandes ­cul­tures,­ notamment à la faveur de conversions au bio sur de grandes surfaces qui génèrent des problématiques de main- d’œuvre pour le désherbage. Comme souvent, chaque expérience positive essaime rapidement dans les exploitations alentour. C’est le cas du robot FarmDroid, adopté dans la Marne par Damien Blondel début 2021 et qui a fait des émules chez ses collègues. Face au potentiel de ce marché, les tractoristes historiques organisent la riposte. Fini les prototypes futuristes qui font le buzz sur les salons, l’heure est à l’armement stratégique.

 

Claas travaille désormais en partenariat avec le Néerlandais AgXeed, qui propose un robot muni d’un attelage 3 points pour embarquer les outils déjà présents sur l’exploitation. © AgXeed
Claas travaille désormais en partenariat avec le Néerlandais AgXeed, qui propose un robot muni d’un attelage 3 points pour embarquer les outils déjà présents sur l’exploitation. © AgXeed

Kubota en tête

Poussé par un marché domestique gangrené par la raréfaction de la main-d’œuvre agricole, le tractoriste nippon Kubota a pris une longueur d’avance. Dès Agritechnica 2017, il a dévoilé AgriRobo, un tracteur entièrement automatisé et fonctionnel, utilisé sur une exploitation japonaise. Il s’illustre­ depuis par de nombreux rachats de start-up reconnues dans les domaines de la robotique et de l’intelligence artificielle.

 

Et la liste de courses ne se limite pas aux robots des champs car il s’est offert Tevel, le spécialiste israé­lien de la cueillette des fruits par drone, ainsi que TrapView, le spécialiste des pièges connectés. Grâce à son partenariat avec le néerlandais StartLife, Kubota peut également garder un œil sur les projets de 300 start-up de l’agriculture afin d’identifier les futures armes qui viendront renforcer son arsenal.

Les solutions de plateformes robotisées du canadien Dot font désormais partie du groupe CNH, comme Raven et Jay Robotics. © C. Le Gall
Les solutions de plateformes robotisées du canadien Dot font désormais partie du groupe CNH, comme Raven et Jay Robotics. © C. Le Gall

 

CNH s’offre une pépite

De son côté, CNH s’est positionné dès 2017 avec une solution basée sur un Magnum sans cabine Case IH et un T8 classique New Holland. Mais c’est surtout fin juin 2021 que le full-liner italien a frappé un grand coup avec le rachat de Raven. Dans ses cartons, ce spécialiste américain de l’agriculture de précision apporte non seulement ses solutions de guidage, mais également des technologies pour la pulvérisation de précision et la robotique agricole.

 

En effet, Raven a mis, fin 2019, la main sur Dot, le pionnier canadien des plateformes motorisées et robotisées multi-outils. Plus récemment, en avril 2021, Raven a finalisé l’acquisition de Jay Robotics et de son transbordeur entièrement autonome. Toutes ces technologies sont désormais dans le giron de CNH.

John Deere tous azimuts

Entre développements en interne et rachats stratégiques, John Deere mène la bataille de la robotique sur tous les fronts. D’un côté, il poursuit le développement de son tracteur électrique GridCON2, qui combine deux technologies d’avenir, la robotique et l’électrique, avec un câble d’alimentation de 35 mètres. De l’autre, le constructeur américain n’hésite pas non plus à aller chercher des compétences à l’extérieur.

 

Il vient ainsi de faire l’acquisition de Bear Flag Robotics. Cette start-up de la Silicon Valley est spécialisée dans les kits de conversion qui permettent de robotiser le tracteur standard d’une exploitation. C’est la deuxième entreprise spécialisée dans la robotique à rejoindre John Deere, après Blue River en 2017.

Salve de partenariats

Agco et Claas ne sont pas en reste mais choisissent pour l’instant la voie des partenariats. Fendt développe ainsi son robot Xaver, conçu pour travailler en essaim, en collaboration avec l’université d’Ulm. Le constructeur bavarois a aussi noué un partenariat avec Raven, quelques semaines avant son rachat par CNH. De son côté, Claas a choisi la voie du partenariat et de la prise de participation minoritaire pour accéder à la technologie d’AgXeed, l’entreprise néerlandaise qui est à l’origine du robot AgBot.

 

Les spécialistes de la robotique n’ont qu’à bien se tenir : les tractoristes n’ont pas rendu les armes !