C’est une flambée inédite que subissent, depuis quelques mois, les coûts de production des exploitations agricoles toutes productions confondues. L’indice mensuel des prix d’achat des moyens de production agricole de l’Insee n’a jamais été aussi haut. Il atteint 112,8 pour le mois de septembre 2021 et a augmenté de 11 % par rapport à septembre 2020.
Et cette situation cache de fortes disparités. Du côté des intrants, le prix des engrais et des amendements (payé par les agriculteurs) est celui qui a le plus augmenté, + 40 % sur un an, toujours d’après l’indice de l’Insee. Le coût de l’énergie et des lubrifiants, et de l’aliment des animaux, grimpent aussi. Les charges de structures ne sont pas en reste, avec une forte hausse des prix des matériels et des bâtiments d’exploitation.
Plusieurs facteurs expliquent la hausse du prix des engrais : les tensions sur le marché mondial des engrais, entre une demande soutenue et des disponibilités limitées chez les principaux exportateurs en lien avec la hausse du prix du gaz, mais aussi l’augmentation des coûts du fret.
D’après l’Insee, l’augmentation récente du coût des intrants n’est pas la même selon les postes de charge. ©GFA
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Azote au plus haut
C’est l’azote qui progresse le plus parmi les engrais minéraux, or il est difficile de faire l’impasse sans impact sur le rendement des cultures. Cette hausse du prix des engrais azotés sur le marché de gros, évaluée à + 224 % par l’AGPB (Association générale des producteurs de blé) entre le 7 janvier 2021 et le 14 octobre 2021, « pénalise fortement la capacité de production des agriculteurs et leurs marges pour la prochaine campagne », s’inquiète Éric Thirouin, président du syndicat AGPB. « Les engrais représentent en général 42 % des coûts des intrants des céréaliers en France (34 % pour l’azote), explique Nicolas Ferenczi, responsable économie et affaires internationales à l’AGPB (1). A mi-octobre, ce chiffre a grimpé à 56 % pour l’azote. »
L’augmentation des coûts de production dépend bien sûr de la date d’achat de l’azote : si l’approvisionnement a eu lieu au début du printemps quand les prix étaient encore raisonnables, l’impact sera faible, mais pour ceux qui achètent en ce moment, l’ardoise va être beaucoup plus salée.
Par exemple, « le prix de la solution azotée est passé de 70 centimes l’unité environ à presque 2 euros aujourd’hui », chiffre Rémi Vanhaesebroucke, responsable marché agriculture à la chambre d’agriculture de la Marne. Il précise qu’en Champagne, « les producteurs utilisent surtout de la solution azotée, non stockable. Les achats se font donc en flux tendu auprès du distributeur, au prix du jour ». Selon ses calculs, le coût de production (charges en intrants) du blé était de 450 €/ha pour 2020-2021, dont 150 €/ha d’azote (apport de 200 unités). Sachant que les autres charges ne se sont pas réduites, ce coût de production flirte aujourd’hui avec les 750 €/ha ! L’ammonitrate est encore plus cher. « Le dernier apport avec de l’ammonitrate pour aller chercher de la protéine pourrait être remplacé par de la solution azotée », anticipe Rémi Vanhaesebroucke.
Autre solution : apporter des fertilisants organiques mais encore faut-il des disponibilités et avoir le matériel pour les épandre. Il appelle à la prudence quant aux besoins financiers à mobiliser pour 2022 : « Attention à ne pas être grisé par la forte hausse actuelle du prix des grains, car la facture des intrants, elle, restera. »
Du GNR à plus de un euro le litre
Après une flambée brutale de 17 % entre le 14 septembre et le 15 octobre 2021, le prix du GNR se stabilise depuis une quinzaine de jours. Mais cette accalmie de la flambée se produit à un niveau exceptionnellement haut, autour de 1,08 €/l pour une commande de 1 000 litres. Il y a un an, il était possible de remplir sa cuve de GNR pour 0,66 €/l.
Cette hausse arrive au plus mauvais moment, avec les chantiers de récolte et les semis d’automne.
La cause de cette flambée est à chercher du côté de l’Asie. L’économie chinoise n’arrive plus à produire suffisamment d’électricité avec ses centrales à charbon pour alimenter ses usines, qui doivent faire face à des coupures de courant. L’empire du Milieu cherche à diversifier ses approvisionnements et se tourne vers le pétrole, ce qui a pour effet immédiat de déstabiliser les marchés mondiaux en tirant le prix de l’or noir. Pour les agriculteurs français, la cuve de GNR n’est pas la seule impactée puisque la hausse de prix concerne aussi les lubrifiants et l’Ad-Blue.
Parmi les ressources d’énergie, le gaz est très utilisé en élevage avicole. « Nous avons subi une première hausse de 45 €/tonne au début du mois de novembre, sur un prix oscillant entre 720 et 760 €/t », rapporte Stéphane Dahirel, éleveur de poulets de chair à Lanouée (Morbihan), et président du groupement Gaévol. L’approvisionnement en gaz est réalisé pour le lot en cours. « On est obligés de faire un réassort pour les lots d’hiver. Nous craignons de nouvelles hausses de prix. » Et ce, d’autant plus que « pour assurer le respect des normes de bien-être animal et limiter le taux de CO2 dans les bâtiments, nous consommons davantage de gaz. On ventile beaucoup, et il faut chauffer ce flux d’air. »
En production porcine, c’est l’électricité qui est plébiscitée. « L’effet en cascade de l’augmentation du prix du gaz sur celui du kWh électrique peut sérieusement impacter les éleveurs porcins. 90 % d’entre eux sont en tout électrique », indique Michel Marcon, directeur technique à l’Institut du porc (Ifip).
Chez les ruminants aussi, les coûts de production sont à la hausse. « L’Ipampa (2) a progressé entre 10 et 11 % selon les productions, entre septembre 2020 et 2021 », relève Gérard You, responsable du pôle Économie des filières à l’Institut de l’élevage (Idele). La hausse de l’indice propre aux aliments achetés oscille entre 11,5 % en ovins viande et 13,6 % en brebis laitières.
En parallèle, les prix des productions ne permettent pas toujours de sauver les marges. En bovins allaitants, les cours des broutards se sont stabilisés et ne profitent plus de l’envolée des prix des jeunes bovins sur le marché européen. En veaux de boucherie, les records de prix atteints à cette période de l’année ne suffisent pas à calmer les inquiétudes. Le Syndicat de la vitellerie française estime une perte de 60 centimes par kg vendu pour un veau rosé clair O élevé en atelier.
Des marges rognées en élevage
En lait de vache, le prix réel du lait frôle 400 €/1 000 litres en septembre (+ 5,4 %/2020). Pour autant, sur douze mois glissants, « la MILC (3) s’établit à 91,3 €/1 000 l, soit bien en deçà de son niveau de l’an passé à pareille époque (- 8 €/1 000 l) et sous la moyenne 2007-2019 (99 €/1 000 l) », chiffre l’Idele.
Se pose alors la question de la prise en compte de l’évolution des coûts de production dans la rémunération des éleveurs. « La méthodologie de calcul des indicateurs de coûts de production en filière bovine validée par accord interprofessionnel prévoit une actualisation semestrielle à partir de l’indice Ipampa », renseigne l’interprofession du bétail et des viandes (Interbev).
Du côté des contrats laitiers, « rien n’oblige les parties prenantes à choisir la référence interprofessionnelle comme indicateur de coût de production », rappelle Jehan Moreau, directeur de la Fédération nationale des industries laitières. Il en va de même dans le cadre des négociations commerciales avec la grande distribution.
(1) Les données de référence sont la moyenne par exploitation et par année moyenne 2013-2019 (exploitations spécialisées en céréales et oléoprotéagineux), avec pour hypothèse que le coût de l’azote minéral correspond à 80 % de celui des engrais.
(2) Indice des prix d’achat des moyens de production agricole.
(3) Marge Ipampa lait de vache sur coût total indicé.