« Accords dans les désaccords »
D’entrée, Corinne Pelluchon (2), philosophe et professeure à l’université de Marne-la-Vallée, affirme sa volonté de politiser la cause animale face à un public aussi attentif que dubitatif. « Pour les animalistes, il est moralement problématique de conduire à une mort provoquée des animaux qui veulent vivre, en vertu de leur statut d’êtres sensibles. Surtout maintenant que l’on peut remplacer des protéines animales par des protéines végétales. »
La philosophe est végan mais ne fait pas de la défense de ce régime, la pierre angulaire de son combat. Pour elle, la cause animale s’impose aujourd’hui comme un sujet central parce que se manifeste une contestation économique, sociale et politique de notre modèle de développement. Les jeunes n’en veulent plus. « Il y a une convergence récente entre l’écologie, la justice sociale et la question animale », insiste-t-elle.
Malgré les divergences profondes avec les différents acteurs de la filière animale, elle estime qu’il faut trouver « des accords sur fond de désaccords ». Elle trace des pistes : créer un revenu universel pour permettre la conversion vers des élevages plus respectueux du bien-être animal (donner la possibilité à l’animal d’épanouir ses normes éthologiques) ; introduire le coût écologique dans chaque kilo de viande pour décourager l’élevage intensif ; réorienter les aides de la Pac vers les élevages vertueux. Enfin, la philosophe suggère d’associer éleveurs et élus pour valoriser les territoires avec des aides ciblées pour travailler autrement.
Le débat de Corinne Pelluchon avec la salle fut cependant bref, la philosophe agacée décrétant que ce serait sa dernière intervention publique et médiatique.
Face à ses propositions, Jean-Louis Peyraud, de l’Inra; a rappelé ensuite, chiffres certifiés à l’appui, que penser un monde sans élevage est un « non-sens humanitaire et écologique ».
Ne pas opposer le végétal à l’animal
De son côté Philippe Legrand, directeur du laboratoire Biochimie Nutrition Humaine à l’Agrocampus – Inra de Rennes, a d’emblée répondu à la question du colloque sur un ton enjoué : « Le caractère omnivore est une donnée scientifique et une sécurité. » Il a ensuite détaillé les risques pris quand on évince les produits animaux de son assiette.
Contrairement au discours habituel, ce n’est pas l’apport en protéines qui le soucie le plus. Le premier problème est la vitamine B12 (qui sert lors de la réplication de l’ADN et de la division cellulaire) : il n’y a aucune synthèse de cette vitamine dans le monde végétal. Le progrès scientifique permet de remplacer cette vitamine B12 par des pilules mais d’une autre qualité.
Vient ensuite le fer : il est bien présent dans les végétaux mais sous une forme moins assimilable. « Pour apporter l’équivalent de 100 grammes de viande rouge, il faudrait 12 kg de mâche. » Tout est question de disponibilité et de concentration.
Le chercheur a pris ensuite le cas du bêtacarotène et de la vitamine A : cette fois, c’est le précurseur végétal qui optimise l’apport des produits animaux en vitamine A. « L’un ne va pas sans l’autre », a-t-il rappelé précisant qu’il ne faut pas non plus évincer les produits végétaux. Se posent aussi les cas de l’iode et du zinc. L’iode (nécessaire à la production des hormones thyroïdienne) provient de 50 à 80 % de la viande. Donc il y a un risque d’insuffisance. Le zinc est aussi capital (immunité, réplication ADN et division cellulaires).
Enfin sans apport animal (ici de poissons), il y a un déficit de DHEA nécessaire à un meilleur vieillissement. Pour le calcium, la source laitière est aussi indispensable (risque d’ostéoporose). Ceux qui se privent de lait devraient consommer par exemple 400 grammes d’amandes ou 500 grammes de persil ou 1,1 kg de pois chiches pour couvrir l’apport nutritionnel conseillé.
« Le risque est énorme s’il s’agit d’un régime végétal pour un enfant »
« Toute l’histoire de la science conduit à ne pas opposer le végétal à l’animal, mais à rappeler que le caractère omnivore de l’homme garantit le moindre risque. Le risque est énorme s’il s’agit d’un régime végétal pour un enfant. Chez l’adulte, l’éviction des produits animaux conduit à un risque proportionnel à l’éviction, à son intensité, à sa durée. Attention à la qualité du vieillissement. Enfin, il y a beaucoup d’apports nutritionnels qui ne sont pas connus ! Quand on élimine des pans entiers, on élimine aussi des molécules sur lesquelles on n’a pas encore d’information. »
Sa conclusion, partagée par l’assemblée, a rejoint son introduction : « Mangeons de tout. Omnivore n’est pas un choix mais une nécessité. C’est un fait scientifique, documenté. La bonne question, c’est quelle dose ? » Pour apporter une réponse à toutes ces questions sur l’alimentation, les Z’Homnivores vont créer un site d’information qui devrait être opérationnel au début de 2019.
(1) Le collectif réunit le réseau « produit en Bretagne », l’association bretonne des entreprises agroalimentaires, l’UGPVB, Interbev Bretagne, Agriculteurs de Bretagne et la chambre d’agriculture de Bretagne.
(2) Auteur du « Manifeste animaliste », Alma Éditeur.
(3) Auteur du livre : « Coup de pied dans le plat ».