Àcinquante-quatre ans, Laurence Cormier, visage doux et regard perçant, a l’expérience intime des crises agricoles. Elle en connaît tous les pièges administratifs et tous les méfaits sur la vie quotidienne ou l’estime de soi. « Elles m’ont endurcie, évoque-t-elle calmement. J’ai appris, tel un pitbull, à ne rien lâcher et à ne pas faire de cadeau. »
Parisienne d’origine, Laurence est devenue agricultrice en 1986, aux côtés d’Édouard, un « éleveur-né », fils et petit-fils d’agriculteurs. Installé à Épineux-le-Seguin, dans le sud de la Mayenne, le couple a démarré avec 46 hectares et 80 000 litres de lait. « Et je peux dire que, jusqu’au début des années 2000, nous avons vécu tout à fait correctement », confie-t-elle. Une mise aux normes – faite sans augmentation de la production – annonce les premières tensions. Mais la brise est encore légère, comparée aux « coups de tabac » de 2008, 2009 et 2015.
Accrochée aux siens
Pendant ces années de crise, « mes sœurs, mais également nos quatre enfants, ont été un formidable soutien, dit-elle. Nous sommes plutôt une famille de bavards et nous n’avons jamais caché nos difficultés à nos proches, en partant du principe qu’à tout problème il doit y avoir une solution et qu’on la trouve plus facilement dans plusieurs têtes que dans une seule. »
Accrochée aux siens, en colère « contre cette incroyable injustice de travailler autant pour rien », Laurence remonte la pente. Elle, qui n’a jamais été syndiquée, participe en 2009 à la grève du lait. Quatre ans plus tard, elle entre au conseil d’administration de l’organisation de producteurs APBO (Bel), « où siègent aujourd’hui quatre femmes ».
En 2015, la voilà de nouveau en alerte. Cette fois, sur le réseau social Facebook, où sa voix rejoint celle d’un groupe d’agricultrices. Connue pour sa diplomatie et son sens de la communication, Laurence crée, l’année suivante, avec quatre autres exploitantes des Pays de la Loire, l’association Les Elles de la Terre (lire l’encadré). « Agnès, Gwladys, Karine, Christa…, nous avons chacune acquis un savoir-faire en temps de crise, dit-elle. L’association est un moyen de mettre ces compétences à disposition des autres femmes et de leur apporter un soutien sur tous les sujets qui les tracassent. » Et de leur insuffler, le cas échéant, une bonne dose de « niaque ».