« Il y a de quoi se poser pas mal de questions avant de s’installer », lance Marie-Andrée Luherne. À l’occasion d’un débat organisé sur la transmission par le réseau Trame lors du Space, à Rennes, l’éleveuse laitière de Sulniac, dans le Morbihan, a tiré la sonnette d’alarme.

Les nouveaux venus pris à partie

Car en plus des difficultés financières et foncières, les nouveaux installés doivent parer aux attaques les plus diverses. Pesticide, viande… jusqu’à l’insémination artificielle. Fabien, l’un de ses fils, a dû se justifier récemment sur le sujet : « Ça s’est passé un dimanche matin, se souvient l’agricultrice. Fabien s’était rendu au champ pour voir les génisses, et constater, simplement, qu’elles étaient bien en place. Quand il est arrivé, un randonneur se trouvait là, dans la parcelle – il estimait plus court de couper à travers champ, lui a-t-il dit. Mais Fabien l’a mis en garde : « Cela aurait pu être dangereux, il y aurait pu avoir un taureau. » En l’occurrence, il n’y en avait pas, le randonneur avait néanmoins pris un risque. Mais la conversation, entre eux, a vite dévié. Le promeneur a demandé comment nous faisions sans taureau. Fabien a commencé à lui parler d’insémination artificielle. Et, là, les questions se sont multipliées : « Pourquoi ? », « Comment ? »

Quand il est rentré, mon fils m’a dit : « Je suis au travail un dimanche matin. Et en plus, je dois justifier nos pratiques sur notre exploitation. Ça lui a fichu un coup. »

Un mode de production pourtant réfléchi

Fabien s’est installé en 2015, deux ans après son aîné, Vincent, et quatre ans avant Xavier, qui vient de s’installer. Tous les trois sont associés à leur père, Dominique, et à leur mère, Marie-Andrée. « Pas un jour sans que l’on n’ouvre le journal, ou n’allume la télé sans être attaqués sur nos méthodes. Et nous sommes en conventionnel en plus… »

Pour installer tout le monde, la famille Luherne a opté pour un mode de production « optimisé » : « 190 hectares. 1 300 000 litres de lait produits par an. Pas de robot, nous passons deux heures à traire, matin et soir, à tour de rôle, et essayons d’être le plus autonomes possible, avec un système très économe. » Sur les trois installations, la famille n’a repris du foncier que pour l’un d’elles. Autant dire que « tout est très calculé », souligne l’éleveuse, et que « la mise en place de zones non traitées pourraient chambouler tout notre système ».

« Avec les ZNT, notre système est compromis »

Pour évaluer l’impact de ces ZNT, « nous avons sorti notre dossier Pac la semaine dernière. Avec les vues aériennes et un compas, on peut vite comprendre ce que cela peut donner. Nous avons regardé les zones d’habitation, les chemins pédestres – il y en a beaucoup dans notre région –, un centre de vacances, etc. Puis on a considéré le fameux zonage de 150 mètres. Or, nous ne pourrions plus cultiver environ 60 % de nos parcelles ».

La société va devoir dire réellement ce qu’elle veut. C’est un vrai débat. En attendant, les agriculteurs ne doivent pas être accusés de tous les maux.

Marie-Andrée Luherne, agricultrice

« Par le passé, nos enfants nous ont souvent dit : “Papa, maman, on ne fera pas l’agriculture que vous avez faite, nous, on s’adaptera.” Nous l’entendons, poursuit Marie-Andrée Luherne. Mais ce jour-là, avec le compas, ils sont repartis dépités parce qu’ils ne pensaient pas que l’impact serait aussi important. Nous sommes quand même 5 exploitants avec 130 vaches. Avec moins de surfaces, nous ne pourrons pas rester comme nous sommes. »

À 22 ans, leur fille, la dernière des quatre enfants, vient d’entrer en apprentissage sur l’exploitation. « Nous arrivons à un tournant, commente l’agricultrice. Nous avons beau entendre dire qu’il faut que des jeunes s’installent. Face aux attaques, ils se posent beaucoup de questions. Et la société va devoir dire réellement ce qu’elle veut. C’est un vrai débat. Il faut savoir quelle société nous voulons demain. En attendant, les agriculteurs ne doivent pas être accusés de tous les maux, d’autant plus dans cette période où la relève est très attendue. »

Rosanne Aries