«En mars dernier, au Salon de l’agriculture, j’ai rencontré des Parisiens curieux de leur alimentation. Cela m’a rassuré, et m’a fait du bien. Agriculteur dans la Nièvre, j’étais invité sur le stand Passion céréales à échanger sur mon métier. L’objectif était d’aider les citadins, déconnectés de la campagne, à se réapproprier des connaissances de base telles que les saisons et l’origine des aliments : le pain vient du blé tendre, les pâtes du blé dur, et ce sont des agriculteurs qui les produisent. Ayant déjà participé à des opérations de communication grand public dans mon département, je me sentais prêt et aguerri pour cet exercice. Malgré tout, j’ai été surpris, et épaté, par le comportement de la plupart de mes interlocuteurs, curieux et sans agressivité. Ils ne m’ont pas attaqué, d’emblée, en parlant d’engrais ou de pesticides. Ces gens-là avaient payé une entrée au salon pour venir voir les animaux et rencontrer des agriculteurs. Peut-être serons-nous même les seuls qu’ils croiseront réellement dans leur vie. Cela me touche profondément.

Avec quatre collègues, j’ai passé toute une journée sur le stand du Sia, près d’une moissonneuse-batteuse. Une machine imposante, que beaucoup d’urbains n’aperçoivent que l’été depuis l’autoroute, dans un nuage de poussière. En quelques heures, quelque 950 personnes y sont montées. La plupart étaient venues en famille. Pendant que l’un des parents grimpait avec l’enfant dans la cabine, l’autre restait à mes côtés pour photographier l’instant avec son smartphone. Depuis le marchepied, je donnais des explications, en essayant de rester simple. Cet exercice n’est pas si facile. J’ai dû convaincre des adolescents qu’ils se trouvaient dans un vrai cockpit de moissonneuse-batteuse, et non pas devant un écran de simulation. C’est dans ce genre de situations que l’on réalise à quel point des jeunes vivent dans le virtuel, alors que dans le monde paysan, nous gardons bien les pieds sur terre.

En ce temps traumatisant d’agribashing, ces moments de bonheur partagés avec les Parisiens ont constitué une vraie thérapie. Plus que jamais, je suis persuadé qu’il faut prendre notre communication en main. La crise du coronavirus donne l’occasion de rappeler les choses essentielles de la vie : la santé, la nourriture, les siens.  »

Propos recueillis par Anne Bréhier