Les statistiques ne révèlent en fait qu’une part de la concentration foncière qui est en marche depuis cinq ans. Et si le nombre de fermes en Europe a baissé de 29 % en dix ans tandis que la surface moyenne s’accroissait de 4,7 hectares, selon Laurent Piet, de l’Inra, ces chiffres cachent une autre réalité. À travers des sociétés ou des fonds financiers, des concentrations majeures s’opèrent.

« La Roumanie compte trois exploitations de plus de 50 000 ha aux mains de fonds de placement américain, libanais ou du Moyen Orient, explique Robert Levesque, directeur de Terres d’Europe-Scafr. Un fond anglais détient 84 300 ha entre le Royaume-Uni (6 000 ha), la Slovaquie (6 000 ha), la Pologne (31 000 ha), la République tchèque (24 000 ha) et la Roumanie (16 000 ha). »

La concentration à l’œuvre en France

La France n’échappe pas à cette lame de fond symbolisée par les achats chinois dans l’Indre. Ce ne sont pas les seuls. Des unités de production se montent discrètement, sans démembrer les explorations d’origine. « En Normandie nous avons démontré lors d’une étude que 48 exploitations (plus de 150 ha) correspondaient en réalité à 20 unités d’exploitation réunissant suivent le cas 2 à 5 exploitations. Sans outil rénové de régulation, il n’y aura plus d’exploitation familiale ou individuelle. »

Pourtant des outils existent déjà : le statut du fermage avec contraintes variables suivant les pays, le contrôle de la propriété agricole (Lituanie, Pologne, Roumanie), le droit de préemption (institué en Allemagne depuis 1919, en France depuis 1962, la Pologne vient tout juste de se doter de règles ; la Wallonie se lance timidement mais la Flandre résiste). Mais ce contrôle aujourd’hui perd de son influence.

Les sociétés gagnent du terrain

« Ces outils ont été conçus pour des fermes en faire valoir direct ou fermage, entre les mains d’exploitants, poursuit Robert Levesque. Or aujourd’hui ce sont des sociétés qui se développent. » Emmanuel Hyest, président de la FNSafer et agriculteur en Normandie, commente. « La concentration touche d’abord les grandes exploitations de façon souvent détournée. De moins en moins d’agriculteurs en France ont accès à l’augmentation de surface. »

« Les reprises (pas-de-porte) sur les terres qui se libèrent, atteignent des prix exorbitants (plus de 15 000 euros), note-t-il. L’agriculture est de plus en plus concurrencée par la chasse et les activités non agricoles. Avec les prix atteints, la majorité des agriculteurs ne sont plus dans la course. Nous devons savoir qui est vraiment agriculteur, en exerçant un vrai contrôle sur les parts sociales. S’agit-il d’une vraie activité, y compris d’une pluriactivité ou d’un revenu supplémentaire pour un investisseur ? Qu’il soit français ou étranger, ne change rien. Depuis quatre, cinq ans, cela dérape vraiment, avec des conseils juridiques qui frôlent la ligne jaune. »

La question foncière au cœur des réflexions

Michel Baylac, président de l’AEIAR et agriculteur dans le Gers, voyait cependant dans la mise en place récente d’outils de régulation dans d’autres pays européens un signe encourageant. « Dans un contexte de réchauffement climatique, d’accroissement de la population, l’agriculture revient au cœur des préoccupations, estime-t-il. Et la question foncière au cœur des réflexions de l’AEIAR y occupe une place centrale. »

Marie-Gabrielle Miossec