Rentrée des classes au Palais-Bourbon et dernière ligne droite pour le projet de loi « agriculture et alimentation ». Sénateurs et députés n’étant pas parvenu à s’entendre en commission mixte paritaire, en juillet, le texte issu des États-généraux de l’alimentation est revenu en deuixème lecture à l’Assemblée nationale, le mercredi 12 septembre 2018.
Les débats ont débuté à la fin de l’après-midi, juste après l’élection de Richard Ferrand (LREM) au perchoir, en remplacement du nouveau ministre de l’Écologie, François de Rugy.
Accouchement difficile
Malgré le consensus de rigueur lors des États-généraux de l’alimentation, il y a un an, la gestation de ce texte est longue et l’accouchement se révèle difficile. Au cœur des tensions : les sujets environnementaux, comme la délicate question du glyphosate, mais aussi, sur le volet économique, les modalités d’élaboration des indicateurs de prix et de coût de production, censés contribuer à la formation des prix agricoles.
En première lecture, les députés, puis les sénateurs, avaient voté une mesure prévoyant que l’Observatoire des prix et des marges puissent se substituer aux interprofessions si celles-ci ne parvenaient pas à se mettre d’accord sur ces indicateurs. En d’autres termes, de faire intervenir une autorité publique dans l’histoire. Mais le gouvernement ne veut pas en entendre parler, l’estimant contraire aux recommandations de l’Autorité de la concurrence.
Si on met un poids plume et un poids lourd sur le ring, on sait qui va gagner…
Christiane Lambert, présidente de la FNSEA
Il a obtenu de la majorité qu’elle revienne sur ce point lors du second passage du texte en commission des affaires économiques à l’Assemblée nationale. Si bien qu’en l’état du texte, il reviendra aux filières d’établir toutes seules leurs indicateurs. La profession s’en émeut et craint de voir les puissants de la chaîne agroalimentaire imposer leurs conditions. « Si on met un poids plume et un poids lourd sur le ring, on sait qui va gagner », a lâché Christiane Lambert, la présidente de la FNSEA, au Space le 10 septembre.
Économie administrée ?
« Nous savons très bien que lorsqu’un des acteurs de l’interprofession bloque, il n’y a pas d’accord possible. C’est ce qui s’est passé lors de la réunion du Cniel (interprofession laitière) de la fin de juin et la réunion d’Interbev (interprofession de la viande) du début de juillet », durant lesquelles « la Fédération des entreprises du commerce et de la distribution (FCD) a refusé de finaliser le travail pour définir des indicateurs de référence de coûts de production », a-t-elle expliqué à l’AFP. D’où l’intérêt d’une intervention de l’Observatoire…
« Nous avons un mal fou, je dis bien fou, à nous faire entendre du gouvernement », regrettait de son côté Jeremy Decerle, président des Jeunes Agriculteurs, le 9 septembre à Terre de Jim. Le syndicat détaille sa position, dans un communiqué : « Il nous est reproché de remettre en cause l’économie de marché, argument qui n’est pas valable ! Il existe une marge entre le garde-fou que nous proposons et l’économie administrée. Car on ne parle que de fixer un indicateur, c’est-à-dire un outil de constat des coûts de production, librement adaptable par les parties prenantes au contrat. On est donc très loin d’un prix minimum ».
Pari risqué
Le gouvernement s’attend à de rugueux débats sur le sujet, mais il ne veut rien lâcher. Pour lui comme pour l’Élysée, le succès de cette loi reposera sur un pari risqué, celui de la capacité des filières à « prendre leurs responsabilités ». D’où les menaces adressées à l’encontre de ceux qui ne joueraient pas « le jeu du dialogue », quitte à revenir sur l’augmentation du seuil de revente à perte (SRP) ou l’encadrement des promotions, pour secouer les producteurs.
Suffisant pour faire passer la pilule législative ? L’heure n’est en tout cas plus aux atermoiements législatifs. « Nous n’en pouvons plus d’attendre Monsieur le ministre, les trésoreries se creusent ! » a lancé un jeune éleveur de bovins allaitants au ministre Stéphane Travert, lors de l’inauguration du Space, à Rennes (Ille-et-Vilaine). La promesse de révolution du président Macron a fait naître des espoirs. Il serait de bon ton de ne pas les décevoir…