À l’issue du vote de ce projet de loi issu des États-généraux de l’alimentation, pouvez-vous affirmer que les agriculteurs seront en mesure de vivre dignement de leur travail ?

Richard Ferrand : Les lois changent rarement la réalité, elles donnent les moyens aux citoyens ou aux organisations de se saisir d’opportunités pour peser. Mais elles ne règlent pas tous les problèmes. C’est bien plus compliqué. Le texte issu des EGA, actuellement en discussion à l’Assemblée nationale, donne des outils législatifs aux agriculteurs : ils pourront s’appuyer sur l’inversion de la contractualisation, sur l’observatoire des prix et des marges ; tous les transformateurs seront contraints de publier leurs comptes, le médiateur des relations commerciales pourra s’interposer si nécessaire… Plus généralement, le législateur ouvre les portes d’un rapport de force favorable aux producteurs. Maintenant charge à eux de se saisir de tous ces outils et de s’organiser pour peser.

Au regard du très grand nombre d’amendements, il est difficile d’écarter l’idée d’une loi fourre-tout. Comment procédez-vous, en tant que président de groupe, pour faire que le texte reste cohérent ?

Il me faut d’abord rappeler les enjeux de ce texte qui sont à la fois de donner les conditions d’une juste rémunération pour les agriculteurs et de répondre aux enjeux d’une alimentation de qualité pour le plus grand nombre, en prenant compte d’un certain nombre de demandes sociétales, mais dans des conditions qui soient praticables. Habituellement, quand un texte est examiné, les députés, chacun avec leurs préoccupations très diverses, l’utilisent comme d’un véhicule, pour légiférer sur des thèmes périphériques. C’est classique. Nous veillons cependant à sa cohérence. Et pour le volet qui concerne spécifiquement l’aspect « rémunération des agriculteurs », nous avons suivi nos engagements. Le texte est fidèle à l’esprit d’origine.

Quid de l’amendement de Jean-Baptiste Moreau qui faisait sortir les produits alimentaires des négociations commerciales annuelles ? Pourquoi a-t-il été retiré finalement ?

Cet amendement a été mis sur la table. Il était probablement prématuré dans le cadre de cette loi, mais il a le mérite d’ouvrir le débat. Et il pourra revenir d’une autre façon. Une loi, ce n’est pas un grand soir sans lendemain. Dans notre pratique législative, nous suivons ce principe qui consiste d’abord à évaluer la portée de nos mesures, les contrôler et puis de les corriger.

Vous ne semblez pas avoir suivi ce principe pour les deux amendements votés dimanche qui consiste à installer des caméras de vidéosurveillance dans les abattoirs sur la base du volontariat, et de ne plus délivrer d’autorisation de cages pour les poules pondeuses. Que s’est-il passé ?

Il ne faut pas confondre le centre et la périphérie. Le centre de ce texte, c’est la juste rémunération des agriculteurs. Après, il y a des choses sur les doggy bags, le bien-être animal, la vidéo dans les abattoirs… Et toute une série d’autres aspects qui ont, en quelque sorte, pris ce texte pour véhicule, mais qui ne sont pas, de mon point de vue, des sujets premiers. L’intention législative ne portait pas prioritairement sur ces sujets, mais ils ont trouvé leur place sous l’impulsion des députés.

Alors pourquoi les introduire ? Avez-vous subi une pression de certaines associations ?

Non. Les pressions associatives que vous évoquez ne sont pas plus lourdes que les pressions des syndicats agricoles. Les jeux sont très ouverts là-dessus… Pour ce qui concerne la sortie de l’élevage des poules en cage, nous sommes sur un engagement présidentiel qui a été mis en œuvre par Stéphane Travert et les responsables de la filière. Il existe un accord entre eux. Il est toujours utile de tenir compte des problématiques sociétales émergentes.

S’agit-il réellement des exigences de la société ?

Nous avons proposé un amendement qui tient compte non pas de l’activisme d’un groupuscule comme L214, mais des exigences de la société. Nous devons montrer que nous ne sommes pas sourds : nous nous montrons sensibles à cette préoccupation, sans le faire sur un mode brutal et oppressif. L’amendement « abattoir » est un amendement de compromis très honorable. Mais ma priorité est bien de faire comprendre que lorsque l’on choisit le métier d’éleveur, c’est pour vivre et travailler parmi et avec les animaux. J’explique qu’on ne peut pas opposer la condition paysanne à la condition animale. Ce serait une incompréhension totale de la réalité du choix de vie que font les agriculteurs. C’est comme le glyphosate : qui peut penser que les agriculteurs utilisent par plaisir et en grande quantité le glyphosate ? C’est une espèce de fantasme. Les agriculteurs, les premiers, savent que le glyphosate n’est pas un produit parfait et qu’il peut être nuisible, surtout pour eux.

Estimez-vous que le texte de loi tient compte, par ailleurs, des évolutions de la Pac ?

Il est par définition difficile d’anticiper la Pac, parce que les négociations n’ont pas réellement commencé. Ce qu’il y a dans le texte de loi issu des EGA est positif, et ce, quelle que soit l’issue des négociations de la Pac. Ensuite s’il faut modifier des choses parce que telle ou telle disposition européenne aurait une incidence, nous le ferons. On verra ce que va devenir la Pac, mais ce qui est sûr, c’est qu’en France, nous créons les conditions de la juste négociation pour la juste rémunération.

Propos recueillis par Rosanne Aries